Myriam, transsexuelle : Je n’ai pas trouvé ça spécialement dur. Après tout ce que j’avais vécu, après toute la violence…

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Née garçon, prostituée à 14 ans, Myriam a connu un parcours éprouvant : violences, discrimination, galère … Aujourd’hui, à 23 ans, elle tente de rompre avec le passé et attend l’opération qui fera d’elle la femme qu’elle se sent être depuis l’enfance.

Si je suis entrée dans la prostitution, c’est parce que je suis transsexuelle. On m’avait dit que c’était le seul endroit où je pourrais rencontrer des trans. Je n’avais pas de famille, personne. J’avais 14 ans et je voulais me procurer des hormones.

On m’a envoyée dans un foyer d’urgence pour les mineurs. J’en suis partie. Je dormais à la rue, je vivais chez les uns et chez les autres. J’ai commencé la prostitution au Bois de Boulogne. Je n’ai pas trouvé ça spécialement dur. Après tout ce que j’avais vécu, après toute la violence… Je ne voyais que mon but : me transformer. J’ai commencé les piqùres à 14 ans. Ce n’est pas douloureux mais il y a des effets secondaires.

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Je faisais un ou deux clients pour pouvoir manger. Mais ce que je voulais surtout, c’était avoir un lien avec les autres filles. La prostitution, c’était un cocon, une famille. Mais une famille qui me détruisait. Ce que je voulais, c’était être entourée, rencontrer des jeunes, rigoler, boire un coup. On a sa souffrance et on est seul. À qui en parler?

À 14 ans, j’ai été rejetée par ma famille. Je trouvais des hommes avec qui je passais des soirées, et puis il y avait l’acte et je me retrouvais seule. D’un coup, il n’y avait plus rien. Juste l’impression d’être une pute. Je cherchais de la compagnie. J’ai limité le nombre des clients, juste deux ou trois pour vivre; j’aurais voulu quelqu’un avec qui me poser.

J’ai eu des fausses joies, des amours, j’avais l’impression que tout était beau. J’espérais toujours et puis je tombais. C’est ça qui m’a détruite. Une fois que c’était fait, je n’avais même plus un message, rien. Je n’en ai gardé que le dégoût de moi-même. En neuf ans, je n’ai jamais eu une relation qui dure au-delà d’une soirée. Les clients, ils se sont servis de ma faiblesse et ils en ont joué. Pour moi, c’est comme une trahison.

La prostitution, c’était un monde ambigu, le monde de la nuit, l’alcool. J’ai tout connu, l’alcool et la drogue. J’ai eu l’impression de ne plus être moi ; de ne plus être qu’un objet sexuel ; de la viande. L’impression de n’être qu’une pute.

Il y a eu les agressions aussi. Deux fois. J’avais des copines qui volaient. Je le faisais aussi pour être acceptée par elles. Un jour, j’ai volé un portable à un client. Il est revenu mais il s’était teint la barbe en gris, il avait mis un costume, très classe, je ne l’ai pas reconnu.

Il m’a emmenée dans un parking, m’a filé du fric et puis il s’est jeté sur moi: il m’a frappé la tête sur le sol, j’ai cru que j’allais mourir. J’étais en sang, j’avais les taches bleues des graviers dans la peau. Il m’a dit qu’il allait prendre un couteau et me les couper. J’ai réussi à m’enfuir je ne sais pas comment; l’instinct de survie.

La prostitution, ce n’est pas un avenir, ce n’est pas un métier comme les autres. Quand on est trans, on va dans la prostitution pour pouvoir s’offrir la chirurgie et puis après on s’habitue et on y reste.

Le regard des autres est dur, c’est vrai, mais il n’y a pas que ça. Il y a les clients. Les clients, c’est des chiens. Ils sont mariés, ils ont des sièges bébé, ils ont des problèmes de couple, ils viennent chercher de la
détente.

Ils disent qu’ils sont hétéros. Ils se mentent à eux-mêmes, ils sont bi. Ils ont une attirance pour le côté homme mais ils ne veulent pas l’admettre. Ils vont voir des trans, ils n’iront pas voir un homme. Je trouve que les clients deviennent de plus en plus bisexuels. On a normalisé tout ça, on a banalisé et en même temps c’est resté très tabou.

Aujourd’hui, je suis à cran. Ce que je veux, c’est me faire opérer et trouver un travail. Il y a des protocoles à respecter et un suivi de deux ans avant l’opération. Je sais que ça ne va pas être facile. J’ai arrêté la prostitution. J’ai droit à la Cotorep, allocation handicapé, en tant que transsexuelle, et à une APL. En gros, je touche1000€. J’ai du mal à y arriver. Hier j’avais 4oo€, aujourd’hui il m’en reste 150. J’ai acheté un sac, j’ai payé une bouteille de champagne dans une boîte. Je n’ai pas la notion de l’argent.

Ce qui m’a toujours fait souffrir, c’est la discrimination. À l’école, déjà, c’étaient les moqueries. Je n’ai eu que des zéros. Et quand j’ai été placée à la DDASS, je me suis retrouvée dans des foyers de garçons! Alors à 14 ans, j’ai tiré un trait sur tout ça Mais c’était pour tomber dans un cercle vicieux. Là, je vais faire une formation avec d’autres gens de la Cotorep, donc il n’y aura pas de discriminations.

Si vous êtes trans mais que vous êtes féminine et belle, il n’y a pas de problème. Mais si vous faites 1,80m et que vous êtes balèze, ça ne passe pas. Avant, j’étais très homme et puis avec les hormones, je me
suis féminisée. Et je suis beaucoup mieux acceptée. Pourquoi ? Je suis restée la même personne.
Il faut être comme ça sinon c’est les moqueries. Moi, des trans, j’en connais qui sortent très peu. Elles restent enfermées, elles invitent chez elles, elles se renferment, elles ne veulent pas avoir l’air de clowns qui se promènent. C’est dur.

Il y a une chose que je voudrais dire aux trans : surtout qu’ils n’aillent pas dans la prostitution! Qu’ils aillent voir une association ! Je voudrais leur éviter le parcours que j’ai connu. Il faut leur dire qu’ils peuvent aller voir un psychiatre et faire un dossier Cotorep. Moi je ne le savais pas, je ne l’ai fait que tout récemment. Maintenant j’ai envie de prendre un nouveau départ, de couper avec l’ancien cocon.

Dominique – Extraits

«Sur mes papiers, à la rubrique Sexe, il y un « M ». Mon numéro de sécu commence par « 1 ». Tout est problématique.
Un jour, un douanier a refusé de me laisser passer une frontière sous le prétexte que ce n’était pas mon passeport. Retirer une lettre recommandée à la Poste tourne à la folie. Je suis obligée d’expliquer. Je vous passe les sourires narquois…

J’ai vu un jour un commerçant qui me connaissait aller prévenir une dame dans un magasin. La dame n’arrêtait pas de dire tout fort : « Mais où ? Mais où ?« .

Et cette charcutière qui persiste à me saluer d’un retentissant « Bonjour monsieur !« 

On s’habitue par la force des choses : au silence total de la famille qui vous traite de malade et, plus douloureux encore, à l’inextricable situation de la rencontre. Dire la vérité à quelqu’un qui vous plaît, c’est horrible. Dans le meilleur des cas, la personne disparaît. Encore heureux quand on ne se fait pas casser la figure.»


Transgenre ?

Il ne faut pas confondre transsexualisme et prostitution. Une minorité de personnes transsexuelles recourent à la prostitution, bien souvent suite au rejet social dont elles sont victimes ou dans le but de trouver l’argent nécessaire à une éventuelle opération. Mais rien dans le fait d’être transsexuel-le ne pousse à la prostitution. Aucune statistique officielle ne permet de savoir précisément combien de personnes sont aujourd’hui « trans » dans notre pays.

Transgenre désigne toute personne qui se vit dans une identité autre que son identité de naissance et biologique ; par exemple un homme qui sent profondément une appartenance au genre féminin (moins souvent l’inverse).

On parle aujourd’hui des trans, hommes et femmes transgenres, opéré-e-s ou non. On parle toujours des « trans » dans leur genre d’arrivée et non dans celui de départ.

Certains qualifient plutôt de transsexuelles les personnes qui, en plus de l’hormonothérapie, ont subi une opération chirurgicale de « réassignation de sexe » (ainsi, pour une femme – genre d’arrivée – une vaginoplastie à laquelle s’ajoute la pose d’implants mammaire.)

Rien à voir avec le travestisme : les travestis portent des vêtements du sexe opposé sans forcément aller plus loin et transformer leur corps.

Le transsexualisme a fait son entrée en 1996 dans la classification statistique internationale des maladies et problèmes de santé connexes (CIM10) au chapitre des « troubles de l’identité sexuelle ».

Une prise en charge psychiatrique d’un minimum de deux ans est obligatoire. Ensuite, est donnée, ou non, l’autorisation d’accéder à un traitement hormonal, puis éventuellement celle d’une opération, pratiquée uniquement en France, dans des hôpitaux publics.

Devant la durée des démarches et les investigations vécues comme inquisitrices, des personnes trans commencent d’elles-mêmes la prise d’hormones en se procurant les produits au marché noir. Elles partent éventuellement à l’étranger où les formalités sont moins lourdes pour obtenir une opération (Belgique, Espagne, Thaïlande).

En France, les personnes trans se battent notamment :
– pour la dépsychiatrisation de leur état (sur le modèle de l’homosexualité jadis classifiée – jusqu’en 1992 ! – dans les maladies mentales)
– pour obtenir le changement d’état civil, qu’elles aient ou non subi une opération
– pour l’adaptation de leur numéro de securité sociale à leur sexe social et non à leur sexe de naissance.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.