Prostitution, la grande promo

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On peut compter sur nos hommes de gauche, nos intellectuels les plus « progressistes », en mal de cause à défendre, pour faire la promo de cette ringardise : la prostitution.

Jean-Michel Carré, documentariste connu pour son regard sans concession sur le système Poutine ou son analyse de l’oppression des salariés (J’ai mal au travail), a enfourché un nouveau cheval de bataille : la Loi sur la sécurité intérieure, dite Loi Sarkozy, qui réprime le racolage et donc les personnes prostituées. On ne peut que l’approuver. La répression qui s’abat sur elles est injuste et ne fait qu’aggraver les violences auxquels elles sont quotidiennement exposées.

Mais fallait-il pour autant se faire le porte-parole zélé des militant-e-s pro prostitution ? Pas un ne manquait à l’appel. Le discours ne nous a pas épargné un seul des grands crédos réactionnaires : la prostitution, c’est branché, c’est subversif, c’est le haut lieu de la liberté humaine. Les prostituées aiment ça. Elles sont l’espoir et l’horizon vital des hommes handicapés et esseulés.

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On reste sans voix devant pareille ignorance des faits et du dossier. Les clients sont majoritairement des hommes lambda, le plus souvent en couple. Et loin d’être les partenaires édulcorés montrés dans le film, ils sont les premiers agresseurs des personnes prostituées. Insultes, violences, humiliations, agressions, leurs prouesses sont désormais dénoncées dans toutes les enquêtes.

Ici, pas un mot.

Rien non plus sur les réalités quotidiennes de la prostitution : alcool, drogue ou valium pour tenir face à leurs exigences. Rien sur les dimensions sans précédent de la traite des femmes, les trafiquants travaillant avec acharnement à offrir audit client l’approvisionnement varié, exotique et de préférence très jeune auquel il pense avoir droit. Rien sur les profits faramineux et le pouvoir croissant des patrons de bordels. Rien sur la révolte des personnes prostituées qui tiennent un autre discours, tellement plus nombreuses mais qui n’osent pas se montrer devant une caméra, séquestrées qu’elles sont sous le poids d’un regard social impitoyable. Leur parole restera bâillonnée. Tant pis pour elles.

Aveuglé par le petit vernis émancipé, libertaire, qui lui a été généreusement servi, l’auteur n’a pas vu qu’il ouvrait des avenues aux proxos qui, même dans leurs rêves les plus fous, n’auraient pas osé imaginer pareil coup de main. Dans une Europe déjà largement pourvue en bordels « new look », les marchands de femmes comptent sur la bénédiction des médias. L’affaire est en bonne voie. Leur meilleur sésame, c’est le « consentement » des personnes à être exploitées. Quant aux clients, à qui les sociétés ont toujours garanti ce droit séculaire à disposer du corps des femmes, ils se frisent les moustaches. Totalement légitimés dans leur bon droit (le film a pris soin de nous dire que tout ça, c’était la faute de… leur mère !), ils vont pouvoir continuer à s’acheter tranquillement une femme, ou un garçon, comme une pizza. Sans se poser de question. On nous l’a dit, le client est roi.

Ce que l’on a omis de préciser, c’est qu’il est le moteur de la traite des femmes. A tel point que tous les textes internationaux sur la traite engagent désormais les Etats à tout faire pour décourager la demande ! Mais qu’importent les textes politiques, qu’importent les ravages de la traite et le tribut payé par les femmes pauvres chargées de « servir » le client. L’essentiel n’est-il pas de préserver ce sacro-saint « droit de l’homme » à aller au bordel ?

De même, le film nous a vanté le modèle suisse. Un pays où les autorités elles-mêmes s’alarment face au nombre croissant de gamines de 16 ans qui grossissent les rangs de la prostitution. En parler jetterait une ombre à si idyllique tableau. On préfère écouter benoîtement la tenancière aux seins siliconés nous faire l’article : le bordel comme haut lieu de la « transparence », de la philanthropie et du respect des droits humains, avec son ultime et imparable argument : le fric.

Non, quelques paroles de justification personnelles agrémentées de sourires commerciaux ne sauraient tenir lieu d’argumentaire. On aurait attendu d’un documentariste reconnu un vrai dossier politique. Pas ce parti pris simpliste, pathétique dans sa certitude de pourfendre l’ordre moral quand il ne fait que le conforter. Une nouvelle fois, a été confondue la revendication de dignité, bien compréhensible, des personnes prostituées et la promotion du système indigne qui leur a interdit l’avenir auquel elles avaient droit.

Au nom d’une prétendue subversion, on entérine l’expression la plus cynique du capitalisme libéral, prêt à tout pour transformer les femmes, produit hautement rentable, en marchandises prêtes à consommer. On redore le blason de la pire idéologie machiste, celle qui assigne les femmes à la fonction éternelle de « putain » et dote les seuls hommes d’une sexualité, du moins d’une pulsion qui fonctionne à l’urgence et nécessite un exutoire. On condamne les plus vulnérables à cet avenir irrespirable, en réalité tissé de dégoût et de violences de tous ordres, et que toutes espèrent transitoire. Les plus précaires continueront de payer la note. Tant pis pour elles, puisqu’on vous dit qu’elles aiment ça ! Parions même que les rangs de la prostitution vont se trouver gonflés de nouvelles « volontaires » après la diffusion d’un tel outil de promotion.
Il est temps, nous sommes d’accord, d’en finir avec une vision moralisante de la prostitution.

La prostitution n’est pas contraire à la morale. Elle est contraire aux plus élémentaires droits humains. Elle est la survivance d’un ordre ancien où l’homme dispose et la femme s’exécute, d’un lieu où il est en droit d’exercer des violences et de la traiter de pute. Sans compte à rendre. On comprend que certains y soient si attachés….

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.