Prostitution : L’abolitionnisme prend corps !

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La Convention Abolition 2012 qui s’est tenue le 29 novembre 2011 à l’Assemblée Nationale, à l’appel du Mouvement du Nid, de la Fondation Scelles et de l’Amicale du Nid, a rassemblé 37 associations, notamment féministes, des éluEs de toutes tendances et un public de près de trois cents personnes : une étape supplémentaire – et enthousiasmante – dans la longue marche qui fait de l’abolitionnisme une question politique à part entière.

Il aura donc fallu attendre les années 2010 pour que l’abolitionnisme prenne enfin sa place dans le débat politique. La journée du 29 novembre 2011, avec la Convention d’abolition du système prostitueur, a indéniablement marqué en France un tournant vers ce qui pourrait devenir un vrai courant d’opinion.

À l’approche des échéances électorales, il s’agissait d’unir toutes les forces abolitionnistes autour de personnalités politiques décidées à adopter dès 2012 une loi qui marquerait symboliquement la volonté d’avancer dans le sens de sa disparition. Comme d’autres ont travaillé à l’abolition de l’esclavage, les abolitionnistes de la prostitution savent qu’elle ne disparaîtra pas d’un coup de baguette magique (l’esclavage existe encore) mais aspirent à ce que la société cesse d’y voir une fatalité et la traite comme une question politique d’importance.

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Après la constitution, en février 2010, du Front de refus du système prostitueur réunissant 17 associations féministes et abolitionnistes, puis la remise du rapport de la Mission d’information parlementaire en avril 2011, cette nouvelle étape a donc montré la progression de la mobilisation puisque 37 associations, notamment féministes, étaient cette fois représentées. La journée a en outre permis de mesurer le chemin parcouru au niveau même des termes du débat. Le temps est enfin révolu du pugilat « pour ou contre les maisons closes » au profit de fondements clairs : prostitution requalifiée en violence, client prostitueur placé sous les projecteurs… La réflexion, longtemps paralysée par la question des choix individuels, a enfin franchi le cap du projet de société et d’une vision sur le long terme. Enfin, une nouvelle génération a émergé, nourrie par les luttes féministes contre les violences et pour l’égalité entre les femmes et les hommes. En mesure de s’appuyer sur un socle d’idées suffisamment solide, elle est aujourd’hui à même de lui donner un ton nouveau et de populariser un combat resté trop longtemps confidentiel.

Une question portée par l’ensemble des partis politiques

Ce rassemblement a donc permis de prendre la température du mouvement. Près d’une quarantaine d’associations, des éluEs représentant l’ensemble des partis se sont ainsi trouvés réunis pour la première fois en si grand nombre autour d’une conviction commune. Si nous voulons avancer dans le sens de l’égalité entre les femmes et les hommes, nous devons placer le client prostitueur face à ses responsabilités et comme dans l’exemple suédois, poser une exigence éthique : on n’achète pas le corps d’autrui.
Les multiples intervenantEs, parmi lesquels Benoît Hamon et Armand Jung (PS), Sophie Auconie (Nouveau Centre), Laurence Cohen (PC), Delphine Beauvois (Parti de Gauche), Guy Geoffroy (UMP), Anny Poursinoff (EELV) ont permis de donner au débat ses vraies dimensions en le replaçant entre autres dans le contexte de combats parallèles contre les inégalités, y compris Nord/Sud et Est/ouest, contre la précarité, pour l’éducation. Toutes et tous ont redit la nécessité d’un important travail pédagogique et d’une politique de prévention. La nécessité de l’abrogation du délit de racolage, revendiquée comme un point de départ non négociable pour l’immense majorité des participantEs, a également été rappelée. A la tribune, Rosen Hicher, jadis prostituée, est venue calmement appuyer ce front du refus en des termes qui ont fait mouche.

Une nouvelle génération en marche

Trois tables rondes ont permis de faire le point des défis qui attendent les abolitionnistes : la loi, l’opinion publique et les alternatives à la prostitution.
Côte à côte, se sont ainsi retrouvées des femmes de tous horizons ; celles qui portent ce combat depuis des décennies – Danielle Bousquet, députée et présidente de la Mission d’information sur la prostitution en France qui a reçu une véritable ovation, Gunilla Ekberg, juriste experte auprès du gouvernement suédois, Suzy Rojtman du CNDF, Ernestine Ronai, vice présidente de l’Amicale du Nid parmi d’autres ; mais aussi une nouvelle génération qui frappe par son aisance et la force de ses convictions : de très jeunes femmes comme Mine Gumbay, déléguée aux droits des femmes à la mairie de Strasbourg ou Typhaine Duch de Osez Le Féminisme, mais aussi des hommes comme le cinéaste Patric Jean, auteur du documentaire La domination masculine.

Cette émergence de forces neuves, politiques et associatives, est la preuve que les abolitionnistes sont maintenant en mesure de se faire entendre. Longtemps dénigréEs, elles et ils voient enfin leur parole entendue. Il leur est enfin possible de faire savoir que leur combat (que les partisans du système ont toujours fait en sorte de caricaturer) est un combat POUR la liberté sexuelle, car il ne servirait à rien d’avoir bataillé pour extraire la sexualité du champ de la violence si elle devait demeurer soumise à celui du marché.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.