Maisons closes : 60 ans après la fermeture, l’éternelle tentation

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Le 13 avril 1946, la France ferme les maisons closes. 60 ans plus tard, la tentation de les rouvrir est vivace, surtout dans un contexte européen de légalisation de la prostitution et du proxénétisme. Il nous a donc semblé bon de rappeler les raisons qui avaient conduit à leur fermeture…

La nostalgie pour les maisons closes ne se dément pas. Le cinéma, la littérature continuent d’entretenir la fascination et d’exalter les fantasmes masculins. Au versant fantasmé, correspond pourtant une réalité souvent sordide : véritables casernes vouées à l’esclavage sexuel, les maisons étaient en France un lieu d’ordre jusqu’à l’obsession, où régnaient la férule des tenancières, la corruption, les pots de vin et la seule loi du profit.

Les clients, parmi lesquels certains de nos écrivains illustres, n’en ont retenu que les lourdes tentures de velours et l’attention extrême au moindre de leurs caprices. Une image complaisante devenue partie intégrante de la « culture » française et bien difficile à déraciner.

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Les tentatives de réouverture ont été nombreuses depuis 1946 : citons les « cliniques sexuelles » proposées par Jacques Médecin (RPR) en 1970, les « maisons municipales » de Joël le Tac (RPR) en 1978, et plus près de nous les propositions de réouverture de mesdames Michèle Barzach (RPR) en 1990 et Françoise de Panafieu (UMP) en 2002 : la première au nom du sida, la seconde au nom de l’ordre public.

La mémoire courte

Santé, hygiène, protection contre les violences : de nombreux Français en sont sùrs , avec la réouverture des « maisons », on tiendrait la solution. Il est frappant de constater que les arguments invoqués pour justifier la réouverture ont tous fait la preuve de leur échec.

Le contrôle de la prostitution et la protection des personnes prostituées

Les personnes prostituées elles-mêmes, dans leur immense majorité, fuient ces ghettos toujours soupçonnés de tourner aux maisons d’abattage. La logique de ces établissements est de verrouiller leur soumission aux exigences des patrons et de la rentabilité : endettement permanent entretenu par le prix du loyer, amendes, services vendus à des prix prohibitifs, argent distillé au compte-gouttes, pressions de tous ordres, voire violences déclarées. Présence, parmi les clients, de policiers et de magistrats.

Rien d’étonnant à ce que, aujourd’hui, aux Pays-Bas ou en Allemagne, l’immense majorité des personnes prostituées optent pour la clandestinité. Dans tous les pays qui réglementent la prostitution, le nombre des « illégales » est infiniment supérieur à celui des légales acceptant de se faire enregistrer.

La surveillance sanitaire

Si les « maisons » ont été fermées en France, c’est d’abord en raison de la dangereuse illusion de garantie sanitaire qu’elles prétendaient assurer, une garantie unanimement dénoncée par les médecins eux-mêmes !

Aujourd’hui, les contrôles sanitaires portant uniquement sur les personnes prostituées seraient non seulement des mesures discriminatoires et régressives en matière de responsabilisation globale mais aussi une aberration du point de vue du sida.

Au minimum, il faudrait en effet un contrôle systématique avant chaque rapport sexuel, et après (en cas de contamination par le client), ce qui serait strictement impossible et de toute façon insuffisant. Le contrôle sanitaire des clients, qu’aucun tenancier n’osera imposer, serait naturellement la moindre des exigences.

La lutte contre la traite et le proxénétisme

Une réalité fondamentale a été dénoncée dès 1927 par la Société des Nations : les liens avérés entre les trafiquants internationaux et les tenanciers de « maisons », véritable moteur pour la traite des femmes.

Aujourd’hui, les pays qui ont légalisé la prostitution et le proxénétisme doivent faire face à une explosion de la traite. Les trafiquants sont experts en l’art d’infiltrer les circuits légaux (et bien entendu illégaux) pour placer leurs recrues (Pays-Bas, Allemagne, Catalogne, etc…)

Et les droits des femmes ?

Rappelons enfin que le texte datant du 13 avril 1946 invoquait, avancée considérable, « un état de servitude contraire à la dignité humaine et à l’égalité des droits entre les sexes ». La loi Marthe Richard a d’ailleurs été contemporaine de la loi autorisant le droit de vote féminin, concomitance historique lourde de sens.

Les habits neufs des maisons closes

Les lobbys réglementaristes ont su remettre au goùt du jour les arguments éculés. Leur habileté tient à la normalisation d’établissements de plus en plus assimilés à des centres commerciaux lambda. Ainsi le fameux Artémis berlinois, méga bordel industriel, propose bar, restaurant, cinéma, sauna, etc…

Le puissant syndicat Anela, qui regroupe en Catalogne, sous des dehors « branchés » les propriétaires d’établissements de prostitution, prétend proposer de la « marchandise » féminine quasiment « labellisée ». La logique libérale ayant ouvert les vannes aux secteurs les plus rentables, l’exploitation sexuelle des femmes, qui ne connaît pas la faillite, tente un nombre croissant d’ »entrepreneurs » proxénètes.

Il serait toutefois hypocrite de cantonner l’existence des « maisons » aux pays réglementaristes. En France, les bars à hôtesses et salons de massage se multiplient. Certains emplois dans les bars, susceptibles de déboucher sur de la prostitution, sont désormais proposés par l’intermédiaire d’agences pour l’emploi.

Aller plus loin

Certes, la loi Marthe Richard n’a pas fait de miracles. Faut-il accuser la loi en tant que telle ou plutôt l’absence de mesures fortes qui auraient pu l’accompagner ? Absence de travail de fond sur les mentalités, structures sociales inchangées… Aucune volonté politique n’a permis de transformer l’essai.

Aujourd’hui, il convient de mettre en place une politique globale et cohérente à même de faire reculer le système prostitutionnel.
Des mesures en direction des personnes prostituées leur permettant de quitter la prostitution, une lutte résolue contre le sexisme et pour l’égalité hommes/femmes, une éducation sexuelle orientée sur la relation et le respect de l’autre, des campagnes de prévention dirigées vers les clients, des formations en direction des acteurs sociaux et des élus (afin d’en finir avec les fantasmes), une vraie politique de lutte contre le proxénétisme.

Rouvrir les maisons ? Pourquoi nous disons « NON » !

Professionnalisation de la prostitution, donc offres d’emploi, voire formations pour les jeunes filles.

Esclavage sexuel des femmes institutionnalisé par l’Etat et les municipalités.

Dangerosité du point de vue sanitaire : fausse garantie, clients déresponsabilisés et dispensés de tout examen médical.

Reconnaissance et puissance politique du proxénétisme, résurgence du Milieu qui trouve dans ces établissements une base rêvée pour ses activités – trafics divers, drogue, banditisme, criminalité -, blanchiment de l’argent du proxénétisme.

Moteur pour la traite des femmes et des jeunes filles, encouragement donné aux recruteurs : exigences de nouveauté, de jeunesse, d’exotisme de la part des clients.

Corruption des élus, achetés à coup de « dons » des tenanciers.

Promotion des clients-consommateurs, invités à se syndiquer (c’est déjà le cas aux Pays-Bas) et escalade des « services » auxquelles sont tenues les personnes prostituées, par exemple passes sans préservatif.

Invisibilité des violences exercées par les clients et les tenanciers.

Enfermement, fichage et exclusion des personnes prostituées.

Reniement des grands textes internationaux en faveur des droits humains et des droits des femmes : Convention de l’Onu pour la répression de la traite des êtres humains et de la prostitution (1949) – Cedaw, Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979).

Témoignages

Des personnes prostituées nous ont fait part de leur expérience, encagées dans un « bar montant » ou un « cabaret » en France, ou dans un « club » belge, elles racontent un quotidien mêlant la violence des « clients » prostitueurs, le flicage incessant des proxénètes et la complicité des autorités avec leur exploiteur.

Fiona, 1/2 : Le mec paye, il fait ce qu’il veut et Fiona, 2/2 : Dans le milieu tout le monde se tait. ;

Naïma : J’ai le sentiment que les clients préfèrent celles qui sont en pleine détresse… ;

Noémie : Je n’étais plus rien ; un corps et puis c’est tout. ;

Monika : Les clients, on leur dit les choses qu’ils ont envie d’entendre;

Roselyne, dix ans de trottoir, refuse les maisons closes.