Sabine Salmon, présidente de Femmes Solidaires

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Comment être féministe sans être abolitionniste ?

Abolitionniste, sans hésiter. Sabine Salmon, présidente de Femmes Solidaires, n’imagine pas ne pas l’être. Le travail quotidien de l’association auprès des femmes lui interdit d’ignorer l’importance d’un dossier comme celui de la prostitution. Loin de vouloir le glisser sous le tapis, Femmes Solidaires a choisi de multiplier les actions pour le rendre visible, en mesurer plus précisément les dimensions et participer à la sensibilisation de l’opinion et des politiques.

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Femmes solidaires rencontre-t-elle la question de la prostitution au quotidien ?

Oui, et c’est assez récent. Aujourd’hui, dans nos permanences, on reçoit des femmes qui nous disent être ou avoir été prostituées, qui expliquent avoir recours à des actes de prostitution pour arrondir les fins de mois ou racontent avoir été séquestrées pour être « offertes » à des hommes par les maris ou les compagnons.

Même chose du côté des étudiantes. Il est difficile d’en connaître les proportions réelles, mais dans les universités où nous avons des antennes, la question du recours à la prostitution est posée. On sait que des étudiantes font circuler des annonces notamment dans les amphis de droits et sciences, facs majoritairement masculines. Auparavant, on ne se heurtait pas autant à ce problème. Quand on parle de prostitution, en général on pense trottoir ou Bois de Vincennes. Mais la réalité est beaucoup plus étendue et beaucoup plus complexe. Nous sommes clairement confrontées à une dimension nouvelle.

Vous avez fait le choix de l’abolitionnisme, pour quelle raison ?

A Femmes Solidaires, nous sommes des abolitionnistes de longue date. Et c’est sans ambiguïté. Je ne comprends d’ailleurs pas comment une association peut se dire féministe sans être abolitionniste. Le féminisme est un projet de société qui aspire à l’abolition de toutes les formes de dominations (de sexe, de race), donc également à l’abolition de la prostitution.

Quelles actions menez-vous, ou avez-vous l’intention de mener, sur la question de la prostitution ?

Nous avons plusieurs projets. En France, nous allons lancer un questionnaire portant sur les violences auprès des étudiantes et des étudiants. Il comprendra des questions sur la prostitution et sera lancé en décembre 2009. Il s’agit de faire un état des lieux suivi d’Etats généraux, de poser un diagnostic et de créer un outil. L’idée est très bien accueillie par le personnel médical et social de la fac. C’est difficile d’avoir un local en fac pour une association féministe et pourtant nous avons des échos de choses graves : harcèlement des doctorantes par des professeurs, viols, prostitution, traite dans les cités universitaires…

A l’étranger ?

Nous sommes en lien avec d’autres associations de femmes à travers le monde. Par exemple, avec des femmes de Djibouti qui luttent contre les viols perpétrés par l’armée djiboutienne et dont les plaintes sont classées sans suite ; également avec Karera en Ethiopie, dont les femmes sont très concernées par l’excision et le mariage forcé (les mains attachées, on leur plonge la tête dans l’eau pour obtenir leur consentement). Elles nous parlent aussi beaucoup de prostitution. Beaucoup fuient l’Ethiopie et se réfugient à Djibouti. Pour échapper à une violence, elles tombent dans une autre ; peut-être y-a-t-il des réseaux organisés, on ne sait pas. En tout cas, l’armée française possède à Djibouti une de ses plus grosses bases militaires. Nous enquêtons sur les liens qui existent entre ces soldats et la prostitution. Notre projet est de proposer un Code de bonne conduite pour l’armée française comme il en existe dans d’autres pays. Ce serait une grande avancée dans ce pays terrifiant.

Vous aviez lancé une action au moment du Mondial de football de 2006. 2010 va voir les mêmes « réjouissances », que prévoyez-vous ?

Nous avions mené avec la Coalition Against Trafficking in Women (CATW) la campagne « Acheter du sexe n’est pas un sport » et réussi à organiser à Paris une conférence de presse qui rassemblait des personnalités politiques de gauche comme de droite. L’Afrique du Sud songe à légaliser la prostitution pour le Mondial de 2010. Il faut mener une action collective ; saisir l’occasion pour que les féministes se fédèrent. Les actions autour du Mondial 2010 comptent donc parmi nos projets.

On parle beaucoup de « violences faites aux femmes ». C’est un progrès ?

C’est un progrès puisqu’on est sorties du tabou. Mais paradoxalement, l’intérêt suscité par les violences conjugales est en train de limiter notre champ d’action. Pour le 25 novembre, journée des violences faites aux femmes, tout est focalisé là dessus. La prostitution reste difficile à aborder. Quand on parle des violences, on nous dit : ah oui, les femmes battues ! Les politiques gouvernementales sont axées sur les femmes victimes. C’est protecteur, un peu paternaliste, tout le monde peut tomber d’accord.

Ce qui manque, c’est la capacité de faire le lien entre toutes les violences. Le noyau, le fondement des violences, c’est la domination des hommes sur les femmes. Les analyser ensemble, en cohérence, permettrait de faire tomber les barrières entre les différentes associations. Mais ce noyau là touche au fondement même de la société. Personne ne tient à ce qu’on en parle. Dans le rapport de la Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes rendu en juillet 2009, pour lequel de nombreuses personnalités ont été auditionnées, rien n’est dit de ces rapports de domination alors que c’est le b.a-ba pour comprendre ces violences. On est dans l’occultation. C’est tout l’objet de notre analyse féministe.

D’autres sujets vous semblent-ils actuellement prioritaires ?

Nous allons être vigilantes sur la révision des lois sur la bioéthique. La GPA, la gestation pour autrui, n’est pas à isoler du reste ; mais à lier à toutes les régressions. Lors de débats que nous avons organisés dans le Nord, des jeunes filles en précarité ont dénoncé le fait que ce sont les femmes les plus pauvres qui seront en majorité ces mères porteuses pour des femmes plus aisées. Nous gardons la même vigilance sur la laïcité et la question du voile. Il faut s’unir autour de l’exigence d’universalité des droits, de dignité, d’autonomie et de liberté.

Femmes Solidaires

Libres, égales et solidaires

Laïcité, mixité, égalité. Née des comités féminins de la Résistance en 1945, Femmes solidaires défend ces valeurs fondamentales grâce à un réseau de 185 associations à travers la France. Sa raison d’être : faire reculer toutes les formes de discriminations et de dominations, le sexisme et le racisme, travailler à l’égalité hommes/femmes, lutter contre les violences, y compris à l’international. Femmes solidaires tient des permanences d’accueil et se porte partie civile dans les procès relatifs aux violences faites aux femmes.
Femmes solidaires fait partie de Initiative Féministe Européenne (I.F.E) et est membre du bureau de la Coordination Française du Lobby Européen des Femmes (CLEF).