Roselyne Bachelot, députée [2001]

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Le crime est du côté de celui qui instrumentalise le corps des femmes en le vendant et de celui qui l’achète pour son propre plaisir.

Vous réfutez la croyance populaire qui veut que la prostitution soit un mal nécessaire, un rempart contre le viol?

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Un homme politique du XIXe disait : il vaut mieux une injustice qu’un désordre. Il avait seulement oublié que l’injustice est le pire des désordres. Pour éviter des viols, il faudrait donc installer la prostitution… qui est le pire des viols. (…) Pour moi, la prostitution est un crime.

À quel niveau ? Où se situe précisément le crime ?

Il se situe au niveau du rapport entre le sexe et l’argent. Le fil rouge est là. Le crime est du côté de celui qui instrumentalise le corps des femmes en le vendant et de celui qui l’achète pour son propre plaisir. Du côté du proxénète et du client. Je suis complètement favorable à la conception suédoise et à la pénalisation du client. Tant pis si je ne me fais pas que des copains. Acheter le corps des femmes, c’est du trafic d’esclaves.

Et si des personnes prostituées vous disent qu’elles sont libres… Si elles revendiquent le « métier » ?

(…) Vendre la sexualité, c’est vendre la partie la plus intime de la personne. Certes, quelque part on vend toujours son corps contre de l’argent, mais il ne faut pas faire de confusion entre la force de travail et la sexualité. L’idée selon laquelle il ne s’agirait que de vendre un service, une prestation, est le produit d’une confusion de la pensée et des extraordinaires dérives initiées par les trafiquants eux-mêmes. Les femmes sont suffisamment conditionnées pour revendiquer leur propre esclavage. J’ai envie de leur demander si elles souhaiteraient encourager leur fille de huit ans à devenir prostituée plus tard; si elles lui vanteraient les mérites du métier. Le jour où ce sera le cas, on pourra en reparler.

(…)

La marge est étroite entre une tolérance zéro vis-à-vis de la prostitution et une démarche humaine vis-à-vis des personnes prostituées. Mais sur le plan du statut, c’est clairement non. La Couverture Maladie Universelle a déjà réglé les problèmes de sécurité sociale. Et toute personne a des droits dans notre société, que ce soit pour la sécu, l’allocation logement ou autre.

Il n’est pas besoin d’un métier reconnu. Ce glissement me semble ahurissant et me fait penser à une scène du film « Le trésor de la Sierra Madre« . Humphrey Bogart, pris par des malfrats, est obligé de creuser sa propre tombe. Mais il doit le faire plus vite pour éviter les méfaits du soleil…

L’argumentation qui lie les droits à une profession me semble d’une perversité absolue. Ces droits ne doivent pas être liés à l’exercice de la prostitution mais à la citoyenneté.

Votre sentiment, en général, sur les droits des femmes, leur image ?

Je suis extrêmement inquiète. Alors que nous, féministes, avions le sentiment d’arriver par paliers à des résultats, à des choses certes encore insuffisantes mais réelles, à une véritable évolution au moins pour les plus privilégiées, nous assistons à un rétropédalage du côté des plus pauvres. (…)

Les femmes sont une marchandise taillable et corvéable à merci. L’éducation au respect du corps, à son inviolabilité, a disparu de l’éducation, au motif d’une idéologie libertaire mal comprise. Et la prostitution est une excroissance monstrueuse, le cancer visible d’un processus caché.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.