Mine Günbay, adjointe au Maire de Strasbourg

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La loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel ? De nouveaux leviers pour agir au plan local.

Strasbourg a de longue date inscrit le choix abolitionniste dans la politique globale de la ville. Pour Mine Günbay, adjointe au Maire en charge des droits des femmes et de l’égalité de genre, le vote de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel est une urgence et une nécessité…

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Strasbourg est-elle en proie aux plaintes de riverains ?

La prostitution est visible dans deux ou trois rues mais depuis deux ans, nous n’avons pas enregistré de plaintes de riverains. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes et ce n’est pas parce qu’elle est invisible dans d’autres quartiers qu’elle n’existe pas. En tout cas, il n’est pas question pour nous de prendre des arrêtés qui font des personnes prostituées des coupables.

Quels choix a engagés la Ville ?

Il y a à Strasbourg une volonté politique en matière de prostitution. Nous en parlons systématiquement dans tous les sujets qui touchent aux violences faites aux femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes. La prostitution est une question fondamentale, un paroxysme. Le choix abolitionniste ne concerne pas que les personnes prostituées. C’est le choix d’un modèle de société qui refuse la marchandisation du corps et des
personnes.

C’est pourquoi nous avons été une des premières collectivités, en 2011, à mener une campagne grand public en partenariat avec le Mouvement du Nid, qui est pour nous un partenaire privilégié, et à engager une formation des collègues élus. Nous n’avons pas craint d’afficher des positions non consensuelles. La campagne en question, que j’ai soutenue (même si j’aurais préféré voir représentée une femme debout), «La femme n’est pas un objet. La prostitution est rarement un choix, toujours une violence», une affiche grand format placardée en deux cents exemplaires sur les murs et les abribus de la ville de Strasbourg, a soulevé des réactions violentes comme l’a montré le micro-trottoir réalisé à cette occasion.

Roland Ries (sénateur maire de Strasbourg) soutient la proposition de loi. Qu’apporterait-elle au niveau local ?

Nous faisons tout pour pousser la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, déjà votée par l’Assemblée nationale. Mais nous sommes dans un moment charnière. Cette situation d’attente de la loi, le manque de visibilité sont un frein, par exemple pour les groupes de travail mis en place par la Préfecture dans le cadre de la Commission régionale de lutte et de prévention de la prostitution et de la traite des êtres humains créée en novembre 2013. Il nous faut cette loi pour avoir davantage de leviers nous permettant d’agir au plan local.

Mais attention. Elle ne donnera de résultats que si elle est accompagnée de moyens financiers et humains suffisants. Quand je vois ce qui est proposé pour les personnes étrangères, je suis inquiète. La loi actuelle prévoit déjà que les personnes prostituées dénonçant les réseaux puissent obtenir un permis de séjour, et dans la pratique cela ne fonctionne pas. Il faut se donner les moyens d’améliorer les choses. Sinon, la loi risque d’échouer et de donner raison à ses détracteurs qui pensent que l’on continuera à stigmatiser les étrangères et à les renvoyer chez elles.

Concrètement, que pourriez-vous mettre en place ?

D’abord la loi nous permettrait d’afficher des positions claires, appuyées non sur une idéologie mais sur un cadre légal. Dans l’état actuel des choses, notre référence est la position abolitionniste de la France affichée depuis 1946. Une résolution du Parlement Européen votée en 2014, qui affirme que la prostitution est une violation des droits humains, nous est également très utile. On ne pourra vraiment avancer que dans le cadre d’une loi globale et cohérente, en lien avec l’ensemble des politiques publiques menées en faveur des droits des femmes, contre les violences, pour l’égalité et pour la dignité des êtres humains. Il sera possible de mettre en place des mesures d’insertion et d’accompagnement des personnes mais aussi d’engager des actions de sensibilisation en direction de tous les acteurs du système prostitutionnel.

J’aimerais alors lancer de nouvelles campagnes, en direction des « clients » ou du grand public sur le thème on n’achète pas le corps d’autrui, et initier des recherches sur des sujets comme la prostitution des jeunes (des étudiantEs par exemple) ou la prostitution invisible… Il faudrait aussi mettre en place un partenariat avec l’Allemagne. Un manifeste des thérapeutes allemands vient d’être publié qui montre une évolution des idées de l’autre côté de la frontière[À lire dans [EMMA (magazine féministe allemand) (en français).]].

La Ville de Strasbourg a signé la Charte Européenne pour l’égalité. Quels outils offre-t-elle ?

Signée en 2010, elle fait la promotion des politiques d’égalité dans les territoires. Elle a deux objectifs : l’un, politique, avec l’affirmation que la ville s’engage en ce sens ; l’autre, méthodologique, avec neuf grands axes de travail qu’elle décline en fiches-action. Le but est d’agir à trois niveaux : en interne, pour sa propre politique d’emploi – lutte contre le «plancher collant» (qui bloque les femmes dans les postes les moins élevés) et le «plafond de verre» (qui les empêche d’accéder aux postes de direction) ; en irriguant la ville d’une culture de l’égalité (campagnes, colloques, etc.) pour changer les mentalités ; enfin en prenant en compte le genre dans l’ensemble des politiques publiques (culture, vie associative, etc.). C’est à la fois un référentiel et un engagement.

En tant qu’élue chargée des droits des femmes, constatez- vous une évolution des mentalités sur la prostitution ?

Sur la prostitution, comme sur le voile, les réactions sont toujours aussi passionnelles. Tout le monde a un avis. Beaucoup de gens ne se prononcent jamais sur les violences faites aux femmes mais il suffit que le corps des femmes soit nu ou voilé pour qu’ils se mettent à avoir une opinion.

Tout de même, le fait qu’il y ait à Strasbourg autant de nos collègues qui aient signé la tribune[[ [200 cents maires en faveur de l’abolition.]]montre une véritable évolution des mentalités. Le débat public autour de la proposition de loi a fait réfléchir.
Je constate toutefois que certaines opinions se sont durcies. C’est assez récemment que j’ai commencé à me faire traiter de putophobe et à recevoir des insultes d’un machisme absolu, du style Je préfère encore une pute qui se fait payer qu’une élue qui fait la pute pour avoir son poste. Le message est clair : Toutes des putes.

Il y a six ans que je suis en charge des droits des femmes et certes les choses changent, mais très lentement. La création d’un ministère spécifique (qui n’existe plus hélas) a au moins été un moteur en cristallisant les débats et les enjeux.

Selon vous, pourquoi une pareille résistance sur la question des « clients » ?

Le sujet reste difficile. Des hommes à qui j’en parle me disent que je leur renvoie des choses violentes ; je leur explique que nous aussi, en tant que femmes, sommes renvoyées à cette violence. Certains, dans mon entourage, m’ont avoué être « clients », et j’en ai été très perturbée. Mais, sans dédouaner ces hommes, sans minimiser la violence qu’ils exercent, j’ai découvert qu’un certain nombre d’entre eux ne mesurent réellement pas ce qui est en jeu.

C’est pourquoi il faut absolument mettre en place une co-éducation des filles et des garçons dès le plus jeune âge. Les femmes aussi ont droit à une sexualité épanouie. Trop d’entre elles ne connaissent pas leur corps, leur propre désir. Trop d’hommes n’ont de la sexualité qu’une vision de performance, répandue par la pornographie. C’est à nous d’expliquer, de donner la priorité à la pédagogie.

Il y a trois ou quatre ans, la délégation du Mouvement du Nid du Bas-Rhin souhaitait que nous lancions une grande campagne à destination des « clients ». J’ai préféré que nous commencions par une campagne générale, qui ne mette personne en accusation mais porte plutôt sur la dignité des personnes. Quand la pénalisation des « clients » sera actée, alors nous pourrons agir en ce sens.