Les vidéos pornographiques sont du viol tarifé filmé.

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Céline Piques est porte-parole d’Osez le féminisme ! Depuis l’an dernier, les valeurs de l’association incluent, en plus de l’abolition de la prostitution, l’abolition de la pornographie. Ce mois-ci, elle consacre son journal au système pornocriminel. Une position très en phase avec celle du Mouvement du Nid sur le sujet.

Pourquoi Osez le féminisme ! a-t-elle pris position sur la prostitution filmée, et pourquoi l’appelez-vous le système pornocriminel ?

Nous avons un combat abolitionniste de la prostitution depuis très très longtemps. Quand on analyse aussi bien les mécanismes du système que la situation et le parcours des femmes qui sont « actrices » dans l’industrie pornographique, et les stratégies mises en place par les pornocrates pour les exploiter, les liens sautent aux yeux.

Nous le nommons système porno-criminel, car de la même manière qu’on ne dit pas pédophilie mais pédocriminalité (car il ne s’agit pas d’amour mais de violence), pornographie n’est pas juste par rapport à  la réalité de ce qui est vécu, qui est de la violence. Comme dans la prostitution, où on parle de système prostitueur, parler ici de système pornocriminel permet de montrer que c’est structurel, violent et criminel contre les femmes.

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Vous parlez aussi de viol tarifé filmé : pourquoi ?

Nous repartons de notre analyse sur la prostitution. Dans la prostitution il y a contrainte. Pourquoi ? Par ce qu’il y a soit un proxénète, soit l’argent. Le consentement est donné à  la relation sous contrainte de l’un ou l’autre. Plutôt que de consentement, Il vaudrait mieux parler de désir libre et éclairé pour parler de sexualité. Le reste n’est que violence par imposition d’une pénétration sous contrainte, donc d’un viol selon la définition légale. Dans les « films pornographiques », le viol est également constitué : contrainte par l’argent et un contrat qui définit un scénario à  suivre. Une femme n’est pas pénétrée sexuellement parce qu’elle en a le désir mais parce qu’il y a de l’argent à  la clé. D’ailleurs la caméra enregistre l’acte, c’est donc une preuve du viol filmé. La seule différence avec la prostitution, c’est la présence de cette caméra. Donc c’est du viol tarifé filmé. La caméra est même une circonstance aggravante : le fait qu’il soit enregistré et diffusé ensuite, rajoute aux femmes concernées une violence supplémentaire, la perte de leur image. Avec la difficulté de faire retirer les images du web.

Quelle est selon vous la place du « client-spectateur-prostitueur » dans ce système, puisque ce n’est pas lui qui qui fait subir le viol tarifé filmé ?

Dans le système pornocriminel, il y a en effet une tierce partie, celui qui visionne, qui est complice. Il faudrait d’ailleurs trouver un nouveau terme pour le désigner, plus proche de la réalité. Il a une responsabilité par rapport aux femmes qui sont violentées parce qu’il alimente la demande en regardant toujours plus de viols tarifés filmés.

En outre, dans ce système, le prostitueur obtient une excitation sexuelle par le visionnage d’images profondément violentes. Au-delà  de la reconnaissance de la contrainte inhérente au système, nous dénonçons la réalité de ce qui se passe sur les « plateaux de tournage ». Il faut le rappeler, il ne s’agit pas là  de films ou de cinéma. Les pénétrations ne sont pas simulées, les violences ne sont pas simulées. Cela n’a rien à  voir avec la fiction.

Pourquoi les produits vidéos de la prostitution filmée sont-ils de plus en plus violents ?

C’est une excitation traumatique qui a un effet d’accoutumance et en demande toujours plus…pour le plus grand profit des pornocrates. Lorsqu’on leur montre pour la première fois des images violentes, les personnes qui regardent sont choquées et dégoûtées. Si elles continuent à  les regarder régulièrement, au bout d’un mois, il y a un phénomène d’accoutumance à  la violence. Dans le viol tarifé filmé, comme l’image regardée est utilisée pour obtenir une excitation sexuelle et pour se masturber, Il faut alors montrer des choses de plus en plus violentes pour obtenir cette excitation. Les « blockbusters » sur youporn, c’est ce qu’il y a de plus violent, et est le plus recherché. « Mindgeek », gros empire pornocriminel qui détient les plus grands « tubes » (portails internet de prostitution filmée NDLR), fonde tous ses succès sur l’offre de pratiques de plus en plus violentes, jusqu’à  la torture.

Est-ce que cela impacte la sexualité des jeunes ?

L’impact est énorme. Il se traduit par des demandes de pratiques sexuelles de ceux qui visionnent cette pornographie violente à  leur conjointe, petite amie… calquées sur ces vidéos. Dans les jeunes générations, pour qui c’est un support d’éducation à  la sexualité, beaucoup parlent d’une pression pour reproduire les scénarios représentés, qui sont ceux de l’humiliation, la dégradation et la violence faite contre la femme filmée. Cette érotisation de la violence sexuelle est catastrophique.

Que pensez-vous du « porno » dit « féministe » ?

Le « porno féministe » c’est un peu comme l’esclavage éthique. Ca n’existe pas, et n’a aucun impact. D’abord, parce qu’on compte quelques dizaines de pornos féministes. C’est confidentiel, un millionième de l’ensemble des produits tournés, alors que le porno dit « mainstream » (majoritaire) représente 27 % de la bande passante d’internet aujourd’hui, et génère des milliards de dollars de revenus à  travers le monde !

Ensuite, ce « porno féministe », qui est constamment mis en avant, tend à  rendre invisible la réalité décrite ci-dessus, cette explosion de violences ultra-majoritaire dans le système. Enfin, les actes sexuels ne sont là  encore pas simulés… Ce sont de réelles pénétrations, avec un contrat, et un réel scénario. Donc le propos du départ sur le fait qu’il n’y a pas de désir et donc contrainte, reste valable : c’est toujours du viol tarifé filmé.
Et de toute façon la contrainte d’accepter les scénarios existe. Si elles ne veulent pas faire certains actes trop souvent, alors elles sont remplacées par d’autres qui elles, « consentent » à  le faire.

Idem pour le pseudo « porno amateur ». Quand on écoute les femmes qui en parlent, on voit bien que souvent elles ont été plus ou moins forcées par leur conjoint, qu’elles regrettent, et ne peuvent pas retirer les images. La réalité c’est que c’est du porno « low cost ». On diminue les coùts, on paie plus mal encore, et les exploiteurs en tirent plus de profit.

Vous dîtes aussi, que comme dans le système prostitueur, le système pornocriminel est profondément raciste ?

C’est une industrie qui érotise la violence et utilise des représentations racistes qui seraient inimaginables partout ailleurs. Il suffit de regarder les noms des catégories sur les tubes. C’est une exposition de produits à  vendre, les femmes nues sont chosifiées. Elles sont rangées en catégories raciales. Les femmes noires sont dans la catégorie « ébène ». La femme noire est nécessairement animalisée. ramenée à  être « féline », « gazelle ». Un des mots-clés les plus recherchés en France est « beurette ». Les Asiatiques sont censées être soumises.

Enfin, il y a une catégorie atroce, nommée « interraciale ». Ce sont des scénarios extrêmement violents, où on montre un homme noir qui viole des femmes blanches. Ce qui est reproduit, c’est l’archétype raciste qui a fait la propagande du Ku Klux Klan et a mené à  tant de lynchages. Sous prétexte qu’on ait le mot « sexualité » ou fantasme, ce serait acceptable ?
C’est l’hallucinante « magie du patriarcat », et une incroyable imposture. On fait croire que « c’est du cinéma » mais cela n’en est pas. C’est de la propagande d’une sexualité violente, raciste, sexiste, lesbophobe !

Et pourquoi lesbophobe ?

Jusqu’à  récemment, lorsqu’on cherchait le mot «  lesbienne » dans google, on tombait sur les représentations des lesbiennes par le « porno ». Des femmes hypersexualisées, soumises, excitables. Le scénario type : deux femmes ensemble, un homme arrive, l’archétype de la lesbienne qu’on va « remettre » dans le droit chemin de l’hétérosexualité, qui fait appel à  une longue histoire de viol « correctif » contre les lesbiennes.
Taper « lesbienne » et n’avoir que que la représentation qu’en a le porno fait que les adolescentes qui s’interrogent sur leur orientation sexuelle sont renvoyées à  quelque chose de profondément misogyne et sexiste. Heureusement, Google a modifié son algorithme sous la pression d’organisations féministes pour que ces résultas arrivent plus bas dans la liste.

Quelles actions menez-vous sur le sujet ?

Nous éditons un journal pour nos militantes et militants pour diffuser nos analyses sur le sujet. D’abord, nous avons ajouté en 2018 dans notre charte des valeurs le mot pornographie dans « abolition de la prostitution et de la pornographie. Dans le journal interne que nous sortons ce mois d’octobre, nous appuyons cette prise de position en l’expliquant en détail.
Ensuite, nous allons faire une campagne de sensibilisation. D’abord, à  destination des adolescentes, sur ce qu’est une vraie « libération des sexualités des femmes ». Parler de sexualité libre et désirante, de parler de plaisr, de clitoris, c’est une première étape. Nous envisageons ensuite une campagne contre le système porno-criminel directement.
Nous continuerons aussi des campagnes abolitionistes de la prostitution, en incorporant toujours le système pornocriminel. C’est une bataille féministe, et que nous souhaitons mener le plus souvent possible avec le Mouvement du Nid.