Prostitution : enfin une loi abolitionniste ?

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La proposition de loi « Lutte contre le système prostitutionnel » a été déposée par le Groupe Socialiste à l’Assemblée nationale le 9 octobre 2013. Elle est porteuse d’un renversement historique puisqu’elle ferait passer la charge pénale sur les « clients » prostitueurs et en libérerait les personnes prostituées par l’abrogation du délit de racolage. Elle créerait de plus un ensemble de mesures cohérentes et coordonnées.

Issue du Rapport d’information parlementaire présentée par Maud Olivier le 17 septembre 2013, cette proposition de loi (PPL) aborde enfin la prostitution dans sa globalité. L’un de ses objectifs est de cesser d’abandonner à leur sort les personnes prostituées : en les délivrant du statut de délinquantes, par l’abrogation du délit de racolage, et en leur permettant d’être accompagnées de manière cohérente et d’envisager des alternatives. Mais de telles mesures seraient dépourvues de sens sans la volonté d’attaquer le système prostitutionnel sous tous ses angles. Il est donc prévu de renforcer la répression de la traite des êtres humains et du proxénétisme, y compris sur Internet ; travailler en amont par la prévention et l’éducation, notamment auprès des jeunes ; enfin, prendre en compte le rôle moteur des « clients » en sanctionnant le «recours à la prostitution» d’une contravention de 5ème classe, c’est-à-dire relevant du Tribunal de Police, exposant à 1 500 euros d’amende et inscrite trois ans dans le casier judiciaire.

L’apport du terrain

La philosophie de cette proposition de loi repose sur deux grands principes, la lutte contre les violences faites aux femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour les députéEs porteurs du projet, l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel poursuit le même but que les législations ayant criminalisé le viol et fait du harcèlement sexuel une infraction correctionnelle, celui de soustraire la sexualité à la violence et à la domination masculine. De plus, c’est à ce jour la mesure la plus efficace pour dissuader les réseaux de traite et de proxénétisme et faire évoluer les représentations et les comportements. Mais la PPL est d’abord fondée sur des exigences concrètes, nourries par les auditions des associations de terrain, qui ont alerté sur la situation physique et psychique dégradée des personnes prostituées, dues aux violences qui sont leur quotidien ; et les entraves multiples qui nuisent à leur insertion sociale, telles que les rappels d’impôts et PV inscrits au casier judiciaire, le manque de fonds dédiés, l’incompréhension des travailleurs sociaux, etc. Le texte pose des demandes claires: coordination des actions en faveur des victimes de la prostitution par des instances départementales, fonds pour leur accompagnement social et professionnel, parcours de sortie pour celles qui en font la demande… Les ressources proviendraient de crédits de l’État, mais aussi des amendes prévues à l’encontre des « clients » et de la confiscation des biens issus du proxénétisme. Afin d’éviter aux victimes de la traite une mise en danger, il est également proposé de ne plus suspendre l’accès aux titres de séjour à la dénonciation des réseaux. Une autorisation provisoire de séjour de six mois ouvrant droit à l’exercice d’une activité professionnelle serait liée à la cessation de cette activité et à la prise en charge par une association agréée, afin d’éviter toute instrumentalisation du dispositif par les réseaux. Un droit à réparation pour les victimes de proxénétisme serait créé sur le modèle du droit existant pour les victimes de la traite.

Pour les « clients », amende et stage de sensibilisation

Le volet consacré aux « clients » est complémentaire: comment affirmer la nécessité d’une politique de prévention destinée à faire reculer la prostitution si c’est pour persister à ignorer ceux qui sont désormais unaniment identifiés comme une cause majeure de la traite des êtres humains ? La PPL renonce à les menacer de prison, se rabattant sur une simple contravention assortie d’un stage de sensibili- sation sur le modèle des stages de sécurité routière. La mise en œuvre serait différée de six mois, le temps d’organiser des campagnes de communication. Si le Mouvement du Nid[[Éditeur de ce site et association de soutien aux personnes prostituées : www.mouvementdunid.org.]] souscrit à la philosophie de cette proposition de loi et salue le travail courageux des éluEs abolitionnistes, il pointe toutefois quelques insuffisances, notamment sur deux points : le choix de la contravention et non du délit de « recours à la prostitution » (voir notre encadré ci-dessous) mais aussi les dispositions touchant à la protection des victimes de la traite. Que deviendront-elles une fois expiré leur droit au séjour de six mois ? En la matière, les associations spécialisées, comme le Rafjire, réclament qu’une carte de séjour temporaire soit délivrée à l’issue de l’autorisation provisoire.

Le Sénat bientôt au diapason

La mission confiée par la Commission des Affaires Sociales du Sénat à Chantal Jouanno (UMP) et Jean-Pierre Godefroy (PS) a rendu à son tour, le 17 octobre 2013, ses conclusions sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées. Une brique supplémentaire y est apportée au constat des effets destructeurs de la prostitution. Le Sénat confirme avec l’adoption de ce rapport la nécessité d’une politique sociale d’accompagnement des personnes prostituées, à coordonner plus finement de même que le pilotage de l’action publique en la matière. Il juge urgent d’inverser la mécanique qui empêche les personnes de sortir de la prostitution, y compris les personnes étrangères. En revanche, il se montre très discret sur la question du « client », se contentant d’inviter à développer les travaux de recherches… Une position réservée qui a l’avantage de ne pas risquer de nuire aux recommanda- tions touchant les personnes prostituées elles-mêmes.

« Clients », simple contravention ou vrai délit?

Alors que la PPL reconnaît la prostitution comme une violence, pointe le rôle des « clients », souligne la situation physique et psychique dégradée des personnes prostituées, le choix de la contravention pour « recours à la prostitution » pose un problème de cohérence. On s’étonne que le recours à une personne prostituée se situe si bas dans l’échelle des peines. Placé au même niveau que l’abandon d’une épave de véhicule, il serait moins répréhensible qu’une agression sonore en vue de troubler la tranquillité d’autrui (passible d’un an de prison et 15 000 euros d’amende). La prostitution serait-elle donc une violence sans réelle gravité ? Comment le législateur pourrait-il expliquer son choix, lui qui n’a pas hésité en 2003 à faire peser sur les personnes prostituées – qu’il prétendait ne pas tenir pour coupables ! – un délit de racolage passible de 3 750 euros d’amende et de six mois de prison ? Comment justifierait-il un tel écart dans le traitement du « client » aujourd’hui reconnu comme moteur de la traite des êtres humains et auteur de violences ? Entre la contravention et la peine de prison, que ne souhaite pas le Mouvement du Nid, n’y a-t-il pas la place pour la création d’un délit de « recours à la prostitution » ?

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