«L’assistance sexuelle» à nouveau sous les projecteurs

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À une semaine d’intervalle, deux tribunes publiées dans Libération relancent le débat : «Pour l’assistance sexuelle des handicapés» – c’est le titre de celle parue le 14/09/11 – et «Les aidants sexuels, ou perpétuer la ghettoïsation[[Le Mouvement du Nid, éditeur de la revue et du site Prostitution et Société, est signataire de la tribune «Les aidants sexuels, ou perpétuer la ghettoïsation» du Collectif féministe Handicap, sexualité, dignité.]]» (20/09/11) dessinent chacune un portrait de «l’assistantE sexuelLE» : technicienNE en érotisme et sexualité pour les uns, mauvaise réponse, paresseuse et discriminante, pour les autres.

Dès leur commencement, les deux tribunes s’appuient sur des bases différentes. «Pour l’assistance sexuelle des handicapés» tient pour acquis que l’accès à une vie affective et sexuelle serait une liberté fondamentale et (…) un droit inaliénable pour tous ; «Les aidants sexuels, ou perpétuer la ghettoïsation», replace la sexualité des personnes handicapées dans l’horizon plus large de leurs exigences légitimes en matière d’égalité des chances et de citoyenneté. Il s’agit de lutter pour un vrai projet, plus audacieux (et plus coùteux ?) : l’ouverture de nos espaces pour permettre l’accès de ces personnes à une vie sociale, leur sortie vers l’extérieur.

«Pour l’assistance sexuelle des handicapés» resserre son propos sur le couple services d’accompagnement sexuel/assistant-e sexuel-le.

Les services d’accompagnement sexuel (…) seraient à la fois des lieux d’information, d’aide à la formulation de leur demande et de mise en relation avec un assistant sexuel. Quelle est la tâche de celui-ci ? Ce n’est pas une mince affaire, puisqu’on lui demande de répondre à un besoin d’apprentissage et de découverte de l’intimité, prodiguer, dans le respect, une attention sensuelle, érotique et/ou sexuelle, et enfin permettre l’acte sexuel entre deux personnes qui ne peuvent l’accomplir sans aide.

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Des vœux pieux que chacun, chacune peut interprêter à sa guise

Le mélange des genres – information, expression de la demande, soutien à la rencontre physique… – se lit d’autant plus confusément qu’il s’aggrave d’un vocabulaire de Père-la-pudeur (que peut bien recouvrer une expression telle que prodiguer une attention érotique?).

Jamais n’est explicité le contenu des « garanties » dont la profession serait parée, telle qu’une rigoureuse procédure de recrutement et de formation des « assistants ».

La position du collectif féministe Handicap, Sexualité, Dignité s’applique au contraire à démystifier et traduire dans le réel ces vœux pieux. Ainsi, pointe le collectif, une hypothétique et indéfinie «formation» des «accompagnants sexuels» ne change rien à la réalité des faits : monnayer un acte sexuel demeure de la prostitution.

Pour le collectif, ce métier d’assistant sexuel, parce qu’il suppose de réviser nos lois sur le proxénétisme, est à la fois une réponse discriminante pour les personnes handicapées, et un véritable danger, puisqu’il permettrait à une forme de prostitution de s’institutionnaliser en France avec le soutien des pouvoirs publics !

«Les aidants sexuels, ou perpétuer la ghettoïsation» s’alarme également de la création d’un métier de nature sexuelle :

Après avoir bataillé pour ne plus être corvéables sexuellement, ni dans le cadre privé (loi sur le viol 1980, sur le viol conjugal 1990), ni dans le cadre public (harcèlement sexuel, 1992) [les femmes] verraient le retour officiel, dans le cadre de l’emploi, du devoir de sexualité. Fallait-il donc tant d’efforts pour liquider le devoir conjugal (à usage du mari), le droit de cuissage (à usage du patron) si c’est pour voir restaurer le devoir sexuel à usage du consommateur ? Consommateur handicapé pour commencer, avant que ce nouveau « droit » soit étendu à d’autres catégories discriminées : prisonniers, timides, isolés, trop âgés.

prévient la tribune.

Contre l’instrumentalisation idéologique des aspirations des personnes handicapées

Ces craintes sont d’autant plus plausibles au regard de la situation dans d’autres pays qui ont déjà mis en place des « aidants sexuels » : le service sexuel légitimé, la prostitution devient un service à la personne parmi d’autres. Un syndicat d’infirmières néerlandais dénonce aujourd’hui le harcèlement sexuel incessant subi par ses adhérentes, rappelle la tribune…

Les deux tribunes ont pris soin de faire endosser leur position à plusieurs co-signataires. Sans surprise,on signalera, au secours de la tribune «Pour l’assistance sexuelle des handicapés», des universitaires promouvant une vision contractuelle de la sexualité (Daniel Borillo, Ruwen Ogien) ; l’essayiste conservateur Pascal Bruckner ; des personnalités médiatiques telles que Jean-Michel Carré ou Philippe Caubère (la nouvelle Passionaria des « clients »), infatigables soutiens d’une prostitution «choisie».

Le « Strass », association autoproclamée « syndicat » des « travailleurs sexuels », qui milite en faveur d’un assouplissement des lois réprimant le proxénétisme, est également signataire. Comment mieux souligner les enjeux cachés derrière « l’accompagnement sexuel » ?

«Les aidants sexuels, ou perpétuer la ghettoïsation», s’il peut s’enorgueillir du soutien de quelques intellectuelLEs de poids (Françoise Héritier, Sylviane Agacinski…) privilégie quant à lui le travail sur le terrain : les signataires sont issus d’associations travaillant auprès des femmes handicapées (Maudy Piot pour la FDFA) ou des femmes victimes de violences (Emmanuelle Piet pour le CFCV, Jacques Hamon pour le Mouvement du Nid), des professionnels de santé (Muriel Salmona, Isabelle Filliozat). Le soutien d’associations féministes telles que Ruptures ou Osez le féminisme témoigne enfin de l’inquiétude suscitée par ce projet de «métier sexuel».


Pour le texte intégral des tribunes et la liste complète de leurs signataires, se reporter au site de Libération:

«Pour l’assistance sexuelle des handicapés», par le magazine Faire face et l’association Ch(s)ose.

Libération du 14 septembre 2011.

«Les aidants sexuels, ou perpétuer la ghettoïsation» , par Claudine Legardinier pour le Collectif féministe Handicap, sexualité, dignité.

Libération du 20 septembre 2011.

Nous signalons aussi le communiqué de presse commun de l’association Femmes pour le dire, Femmes pour Agir et de la Coordination française du Lobby Européen des Femmes.

À lire aussi,

Handicapé, votre vision de ma vie sexuelle me donne envie de crier, une tribune d’un homme handicapé parue sur le site Rue 89 le 6 septembre 2011.