Proxénétisme en ligne, les subterfuges de Vivastreet

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Elle avait 14 ans et disait sur son annonce en avoir 20. Elle s’était inscrite comme « masseuse » sur Vivastreet. Le 16 novembre 2016, ses parents ont porté plainte contre le site pour proxénétisme sur mineure. En décembre, le Mouvement du Nid, alarmé par « l’impunité dont semble bénéficier le proxénétisme sur Internet(1) », a déposé plainte à  son tour. L’enquête a été confiée à  l’Office Central de Répression de la Traite des Etres Humains.

Numéro 2 des sites de petites annonces gratuites en France (avec 10 millions de visiteurs mensuels, derrière Le Bon Coin), Vivastreet est visé par une enquête préliminaire pour proxénétisme aggravé. Créé en 2004, domicilié à  Jersey (un paradis fiscal), le site était gratuit avant de rendre peu à  peu certaines annonces payantes, notamment les 7.000 annonces quotidiennes(2) qui figuraient ou figurent sous la rubrique « massages », « Erotica » ou « service adultes ».

S’abritant derrière le fait qu’un hébergeur n’est pas un éditeur et qu’il n’est pas responsable du contenu généré par les internautes, les responsables du site assurent que les annonces sont modérées avant leur publication et supprimées si elles ont un caractère illégal. Il semble dans ce cas au Mouvement du Nid que leur appréciation soit pour le moins approximative.

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Des annonces de prostitution, et qui rapportent gros

De nombreuses personnes prostituées et victimes de proxénétisme accompagnées par le Mouvement du Nid disent explicitement utiliser le site, en se plaignant d’ailleurs des tarifs : l’annonce qui coùtait 9,90 € en 2009 était de 79,99 € en 2016. Pour gagner en visibilité, un choix de plus en plus étendu d’options (changement de ville illimité, photos réelles, tête de liste(3)!) peut monter la note à  300, voire 600 € mensuels(4).

France Inter et le journal Le Monde ont d’ailleurs fait les comptes. En misant sur une fourchette allant de 110 à  500 € mensuels, le chiffre d’affaires évalué par la radio serait de 8 à  42 millions d’euros par an ; par le quotidien, entre 11 et 21 millions.

Afflux de propositions de clients

D’autres éléments appuient nos soupçons de proxénétisme, à  commencer par le nombre important de procès auxquels est associé le nom de Vivastreet. Si cela ne suffisait pas, l’enquête menée par France Inter n’a fait que confirmer les soupçons : afflux de propositions de clients après la publication par la journaliste Laetitia Saavedra d’une annonce lui permettant de se présenter au téléphone comme âgée de 15 ans (un homme lui a même proposé de la mensualiser à  1000 €/mois), réponses sans ambiguïté de femmes ayant posté des annonces à  un journaliste qui a lancé des appels!
On pourrait encore citer les nombreux articles de presse qui s’appuient sur les annonces de la rubrique Erotica pour tenter de comptabiliser le nombre des personnes prostituées. Le simple bon sens pourrait d’ailleurs suffire, à  voir, malgré tous les efforts cosmétiques, les photos et descriptions mises en ligne.

Pour le Mouvement du Nid, le site aide et assiste bien la prostitution d’autrui en publiant délibérément en ligne des milliers d’annonces de prostitution. Il en tire profit et fait office d’intermédiaire entre les personnes en situation de prostitution et les clients, toutes définitions correspondant clairement au délit de proxénétisme. De plus, il fait usage d’un réseau de communication électronique, ce qui relève même du proxénétisme aggravé.

Pour sa défense, le site Vivastreet affirme publier ces annonces de prostitution à  son insu. Le Mouvement du Nid pose alors plusieurs questions. Comment ignorerait-il le contenu réel de la rubrique qui fonde son modèle économique ? Peut-il n’avoir jamais entendu parler des procès continuels où son nom est prononcé ? Comment justifie-t-il le contenu de sa même rubrique Erotica dans les pays aux législations plus laxistes ? Au Royaume-Uni et en Belgique, les prix des « services » sont affichés sur le site. Au Royaume-Uni, le blog de Vivastreet fait même sa promotion auprès des « escorts » en les incitant à  s’inscrire sur Vivastreet, plutôt que sur le concurrent backpage.com!

Donner un premier coup d’arrêt au proxénétisme par Internet

A l’heure où 62 % de la prostitution en France passe par Internet, selon notre enquête ProstCost, le Mouvement du Nid, qui accompagne chaque année des milliers de victimes de la prostitution et du proxénétisme, ne peut accepter que Vivastreet tire des millions d’euros de leur exploitation sexuelle. Il dénonce le fait que ce profit annuel soit largement supérieur à  l’ensemble du budget de l’Etat consacré à  l’accompagnement des personnes prostituées et au développement d’un parcours de sortie de prostitution.

Il demande donc à  la Justice française de se prononcer quant à  la qualification des faits qu’il estime être de nature proxénète et qu’il confisque le cas échéant l’ensemble des biens extorqués aux personnes prostituées afin d’abonder le fonds pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées, tel qu’il est prévu par la loi du 13 avril 2016.

Développement alarmant du proxénétisme sur Internet

Faut-il rappeler que c’est une législation stricte en matière de proxénétisme qui permet à  la France de compter un nombre de victimes de prostitution nettement inférieur à  celui de ses voisins (37.000 selon notre enquête Prost Cost, contre 400.000 en Allemagne) ?

Notre pays peut-il vraiment continuer à  fermer les yeux sur le développement alarmant du proxénétisme par Internet ? Sur le prix payé par un nombre croissant de mineures exploitées par de jeunes proxénètes à  qui la toile a ouvert des perspectives décuplées ? Les grandes fortunes du 2.0 ne peuvent échapper à  la loi commune. Ou tous les efforts de lutte au plan européen et international contre l’exploitation sexuelle des êtres humains ne sont que de la poudre aux yeux.