Femmes migrantes, des cibles pour les agresseurs

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Violences en amont qui les poussent à  l’exil, violences sur le parcours migratoire, violences dans le pays d’accueil! Etre femme et migrante surexpose aux violences. La recherche publiée par France Terre d’Asile, « Les violences à  l’égard des femmes demandeuses d’asile et réfugiées en France », appelle à  une urgente prise en compte des besoins spécifiques des femmes.

On parle beaucoup de la « crise migratoire », devenue un problème politique majeur pour nos démocraties. L’image véhiculée est le plus souvent celle d’un homme étranger, présenté au passage comme une menace potentielle pour le pays d’accueil. On oublie qu’au cours des dernières décennies, les flux migratoires se sont fortement féminisés. Selon l’Onu, en 2015, sur les 244 millions de personnes migrantes à  travers le monde, 48 % étaient des femmes- [[ONU Femmes, Comité France, Répondre aux violences subies par les femmes migrantes et réfugiées, 2016.]]. Et en 2016, les femmes étaient majoritaires et représentaient 60 % du total des personnes en déplacement. En France, sur les 152 839 demandes d’asile déposées entre 2015 et 2016, 54 956 ont été formulées par des femmes (dont 14 004 mineures), soit plus d’un tiers, selon les chiffres donnés par le Haut Conseil à  l’Egalité entre les femmes et les hommes fin 2017[[« Situation des femmes demandeuses d’asile en France après l’adoption de la loi portant réforme du droit d’asile », HCE, décembre 2017..]]

Dans le cadre de cette crise, les femmes manquent de visibilité dans les politiques d’accueil. Pourtant, leurs besoins spécifiques font émerger de nouvelles problématiques. Ainsi, il apparaît qu’au delà  des violences qu’elles ont à  subir tout au long de leur parcours migratoire, elles sont surexposées sur le territoire français à  de multiples situations de violences, notamment sexuelles.

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L’exil, un facteur de grande vulnérabilité

« Les forts taux de demandeuses reflètent les motifs prépondérants de la demande, fondée essentiellement sur les violences faites aux femmes », affirme l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra). Au delà  des difficultés économiques généralement invoquées, ce sont bien les violences que subissent les femmes dans leur pays d’origine qui pèsent lourd dans leur décision de tout quitter ; ce que le HCR, Haut Comité aux Réfugiés, appelle désormais les « persécutions liées au genre ».

Malheureusement, pour ces migrantes, quitter leur pays, leur famille, leurs repères pour fuir des violences est précisément prendre le risque de subir des violences redoublées, que ce soit sur le parcours ou dans le pays d’accueil. Les contextes de guerre, de déplacements forcés et de migration sont les pires pour les femmes et les filles. Et celles qui voyagent seules courent un risque encore plus élevé de subir des violences, que ce soit de la part de passeurs, de groupes criminels ou d’individus isolés.

Les difficultés rencontrées pour entrer sur le territoire européen ne font que multiplier les risques de traite, de prostitution, de viols et d’agressions sexuelles. Une fois en France, selon le rapport de France Terre d’Asile-[[ France Terre d’Asile, Cahiers du Social n° 40, par Olga Bautista Causa, avril 2018]]., elles ont à  subir « les insultes et les attitudes de rejet et de harcèlement à  la croisée du racisme et du sexisme, les agressions physiques et sexuelles liées au fait de devoir dormir dans la rue, les vols, les situations d’exploitation sexuelle, les mariages ou les grossesses « arrangées » pour obtenir plus facilement un hébergement ou un titre de séjour, les situations de prostitution de survie pour obtenir de quoi manger ou un endroit où dormir, les violences de la part de leurs conjoints ou de leurs partenaires et les discriminations ou les persécutions dues à  leur orientation sexuelle. »

La précarité des conditions de vie est le facteur majeur de la vulnérabilité : précarité matérielle, administrative mais aussi de logement. Le manque d’hébergement sécurisé place les femmes dans des situations de dépendance qui les surexposent aux violences, par exemple aux relations sexuelles en échange d’un logement, d’une douche ou de la sécurité dans les campements. On se souvient qu’ont été dénoncées des situations d’exploitation sexuelle et de réseaux de prostitution organisés dans « la jungle de Calais- [[www.prostitutionetsociete.fr, Viols, prostitution, traite des êtres humains, la double peine des enfants migrants, juin 2016.]] ». La menace permanente du viol et de la violence sexuelle a toujours traversé les récits des femmes et des associations présentes sur le terrain.

Le Mouvement du Nid est bien placé pour en témoigner. Les femmes nigérianes reçues par l’association décrivent souvent un parcours migratoire mais aussi un quotidien marqué par une violence inouïe. Dans le cadre de notre dossier sur la prostitution chez les jeunese]]., la délégation du Loiret faisait le constat que « l’accès au corps et au sexe des migrant.es est central (!). La prostitution est au centre des problématiques de la migration : omniprésente mais tue. »

Des progrès certains!

On ne peut nier les avancées réelles réalisées par la France dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes.

La réforme du droit d’asile votée en 2015, suite à  la ratification par la France en 2014 de la Convention d’Istanbul, a conduit à  l’inclusion dans le Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), de certains aspects liés aux besoins des femmes : persécutions liées au genre, détection des vulnérabilités, prise en compte de certains besoins spécifiques dans l’hébergement, renouvellement du titre de séjour en cas de violence conjugale.

L’intégration de la perspective du genre a ainsi permis la reconnaissance légale des violences faites aux femmes comme motif pouvant constituer une demande d’asile. Et l’Ofpra a consolidé depuis 2013 ses connaissances en matière de traite, de violences conjugales ou liées à  l’orientation sexuelle pour mieux les prendre en compte dans le cadre de la demande de protection.

Enfin, des progrès ont été obtenus au niveau du droit commun pour mieux protéger les personnes en cas de violences conjugales, de traite ou de proxénétisme.

Mais de graves insuffisances

Il reste que trop peu de professionnel.le.s ont reçu une formation sur la question des droits des femmes et des violences faites aux femmes. Le rapport de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement Européen[[- Parlement Européen, Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres, Rapport sur la situation des réfugiées et demandeuses d’asile dans l’Union européenne, 2016.]] notait en 2016 l’importance de mettre en place « une formation complète sur les violences sexuelles, la traite et les mutilations génitales féminines » au sein des centres d’accueil. Il recommandait que toutes les personnes en lien avec la demande d’asile soient formées aux conséquences psychologiques et traumatiques des violences, afin par exemple de mieux comprendre les difficultés d’énonciation des femmes lors de leurs récits.

Des progrès restent donc à  faire : mieux intégrer la dimension de genre aux politiques d’asile afin de développer des actions adaptées. Entre autres assurer un hébergement adéquat aux demandeuses d’asile en incluant la mise en place de structures non mixtes pour les femmes isolées ou seules avec des enfants, mettre en place des actions de formation sur les violences à  destination de tou.tes les professionnel.les en contact avec des femmes demandeuses d’asile ou réfugiées, garantir à  celles qui sont victimes de violences conjugales ou familiales un accès facilité à  un titre de séjour.

BON A SAVOIR


Indépendamment de leur statut juridique lié au titre de séjour, toutes les femmes ont le droit de poser une main courante ou une plainte pour cause de violences subies en France. Dans le cas de violences conjugales, elles peuvent obtenir une protection au cours des étapes de la procédure juridique. Et les victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme peuvent obtenir un titre de séjour temporaire renouvelable si elles s’engagent dans un parcours de sortie de prostitution (délivré par le préfet).

Pour en savoir plus : http://www.france-terre-asile.org/images/stories/publications/pdf/violences-a-egard-femmes-demandeuses-asile-et-refugiees-en-france.pdf

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.