Les clients de la prostitution, l’enquête

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« C’est, fondamentalement, d’éducation qu’il s’agit et de la possibilité de sortir d’un rapport toujours inégalitaire entre les sexes…« 

« Les prostituées sont partout, les clients nulle part.«  C’est sur ce paradoxe que s’ouvre : « Les clients de la prostitution, l’enquête » de Claudine Legardinier et Saïd Bouamama, et c’est cette absence, du discours courant comme des représentations collectives et des média, qu’interroge l’enquête, tandis qu’elle donne, pour la première fois en France, la parole aux clients de la prostitution.

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95 clients ont accepté de parler : d’eux, de ce qui les pousse à recourir à la prostitution, des justifications qu’ils en donnent…

Cette parole libérée reprend, avec une bonne conscience et une constance effrayantes, tous les clichés véhiculés par la société patriarcale : besoins sexuels masculins jugés irrépressibles et « naturels« , femmes commodément classées en « maman » respectable et frigide, et « putain » accessible et libérée.

Cette parole répétitive, où le client se pose souvent en victime – de carences affectives, de manque de confiance en soi, des femmes modernes « trop exigeantes » – fonctionne comme un masque.

Elle tente d’occulter la réalité de la violence prostitutionnelle – violence qui serait toujours le fait du proxénète et jamais du client « normal » ! – et de taire la souffrance de la personne prostituée, en un tour de passe-passe moral où elle devient la coupable de « mauvais services« , de « manque de cœur » voire de brutalité!

Mais, ce qu’elle révèle, en creux, c’est l’incapacité du client, obsédé par les schémas de la normalité et de la virilité, à envisager toute relation égalitaire avec la femme.

Séduisante, redoutée, haïe parfois, la femme apparaît comme une « terra incognita » alors même que 70% des clients sont ou ont vécu en couple.

Dans cette perspective, le rapport marchand avec la personne prostituée est le miroir grossissant d’une impuissance masculine contemporaine à sortir d’un rapport dominant-dominé que des décennies de féminisme et d’avancée des droits de la femme en Occident, semblaient avoir fait reculer.

Cette permanence des rapports de domination est particulièrement lisible au fil des témoignages de personnes prostituées, recueillis par Claudine Legardinier, et qui viennent relativiser la parole des clients, aux moments-clés de l’ouvrage.

Mais l’ouvrage ne se borne pas à analyser, avec clarté et vivacité de plume, les discours de « déni » des clients, il évoque aussi les expériences pionnières, menées en Suède et aux Etats-Unis, afin de responsabiliser le client.

Celles-ci ne se contentent pas, comme les média le prétendent, de pénaliser les clients, mais mettent en place une vraie politique d’éducation, le plus souvent efficace.

Car c’est, fondamentalement, d’éducation qu’il s’agit et de la possibilité de sortir d’un rapport toujours inégalitaire entre les sexes, véritable « terreau » alimentant le recours à la prostitution, pour trouver une troisième voie.

Cette troisième voie « entre le puritanisme victorien qui interdit tout et le libéralisme qui autorise l’exploitation et la violence » est celle « d’une morale sexuelle responsable et respectueuse d’autrui« .

C’est cette voie qu’indiquent les auteurs et c’est elle que le Mouvement du Nid trace quotidiennement.