Le corps libéré. Psychosomatique de la sexualité

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Avec jubilation, Suzanne Képès envoie balader le culte de la performance et de la technique, si prisées par notre époque de comptables.

Le sexe est partout. Étalé, débridé, « libéré ». C’est du moins ce que l’air du temps nous somme de croire. Et gare à ceux qui ne rentrent pas dans le moule! C’est dire si le dernier livre de Suzanne Képès vient à point nommé remettre quelques pendules à l’heure.

Psychothérapeute accueillant des patients pour difficultés sexuelles, l’auteur fait un constat. Bien loin de la mystification ambiante, des femmes et des hommes en souffrance emplissent son cabinet. Rarement organiques, ces troubles sont psychosomatiques, liés à leur histoire et en particulier à leur toute petite enfance. Mais ils sont aussi le résultat complexe de la manière dont ils ont intégré les préjugés et lieux communs de nos sociétés. En tête, la « tyrannie du pénis », cet organe qui continue à faire la loi pendant que règne toujours, chez hommes et femmes, une parfaite méconnaissance de leur corps. Car Suzanne Képès le dit bien fort : le sexe est resté tabou. Et l’ignorance demeure.

Annonce

Avec jubilation, elle envoie balader le culte de la performance et de la technique, si prisées par notre époque de comptables. Et entreprend de dénoncer les idées toxiques qui empoisonnent les vies et les sexualités, et donc la possibilité du bonheur.

Témoin d’un véritable « complot contre la sexualité des femmes« , Suzanne Képès est aussi sensible à la souffrance des hommes ; des souffrances dont elle voit la dimension relationnelle et affective, impossible à guérir par des pilules, bleues ou vertes, mais seulement par la parole et la confiance.

Sa pratique de la relaxation, son écoute la conduisent à faire justice de nombreuses croyances : non, il n’y a pas de « normes » en amour. Oui, les étiquettes sont nocives qui enjoignent aux hommes et aux femmes de se plier aux normes sociales en adoptant les comportements d’une virilité et d’une féminité fantasmées, voire caricaturées ; alors que qualités masculines et féminines coexistent chez les deux sexes.

Elle déplore les faux modèles sur le plan sexuel et amoureux, en constate les ravages. Elle réhabilite l’écoute, la gratuité, la lenteur – il faut du temps pour se connaître et connaître l’autre : « Tout ne s’achète pas, ni l’amour, ni les sentiments, ni le corps des femmes« . Militant pour une sexualité qui soit un véritable échange amoureux, affectif et érotique, elle en appelle à une authentique éducation sexuelle, un apprentissage de l’autonomie et de la responsabilité, une vraie formation des praticiens en matière de sexualité humaine. Un ouvrage si revigorant qu’il devrait être remboursé par la Sécurité sociale…

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.