La vérité sort de la bouche du cheval

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Dans « la vérité sort de la bouche du cheval », Meryem Alaoui, jeune autrice marocaine vivant aux Etats-Unis, donne la parole à  une femme prostituée de 34 ans au parler franc, ciselé, implacable sur son environnement et sur elle même.


Jmiia a 34 ans, une fille qui vit avec elle, un souteneur quasi-invisible car il sait « qu’elle est réglo », une mère « Muy », qui n’est pas au courant de ses acitivtés, un ex-mari vivant en Espagne et à  qui elle envoie de l’argent!pour vivre, et faire vivre sa famille, elle est sur les trottoirs de Casa et reçoit des « clients » pour des passes dans son appartement.
Au départ, elle a tout de la « prostituée » qui semble libre, et battante sinon contente de son sort. Surtout, elle « a l’esprit vif », comme elle le dit elle-même, une gouaille sans pareille, et un regard acerbe sur le monde qui l’entoure qui lui permettent de se tenir debout, toujours digne.
Lucide, elle dit, à  propos d’une autre femme, qui n’a pu rester dans la prostitution » :
« tu sais, je crois qu’au début elle a cru que c’était facile. Genre tu viens, tu fais ça et tu passes à  autre chose. La pauvre ! Si c’était si simple, pourquoi n’y a-t-il pas plus de filles dans la rue ? Pourquoi on a toutes autant d’affinités avec la bouteille ? Pourquoi les filles s’adonnent aux joints ? Pourquoi elles prennent des cachets ? Pourquoi tout ça ? C’est qu’il faut des couilles pour faire ce travail ».

De la violence conjugale à  la prostitution

Sur ce ton à  la fois truculent, drôle et précis, elle raconte son histoire, et l’on découvre vite que c’est surtout la violence masculine qui l’a destinée au trottoir, comme partout dans le monde. Victime d’une sorte de « loverboy » marocain, elle l’épouse, vit la grande vie avec lui, jusqu’à  ce qu’il s’avère incapable de gagner de l’argent. Et que pour en gagner, il se mette un jour à  vendre sa femme à  ses ami·e·s. C’est ainsi que de conjoint violent, ce bientôt ex-mari devient son proxénète. La scène où elle le découvre par le viol, et le désespoir auquel elle refuse de s’accrocher sont poignants.

Après son mari, Jmiaa a un proxénète, et des « clients » réguliers. Elle a même un « amant », mais celui-là  la considère, comme les autres, comme une « pute ». Ainsi, après une nuit passée avec lui, il part en lui laissant des billets sur la table en lui disant « ben tiens, j’ai oublié le plus important ». Elle décrit la scène, et c’est là  que ce qu’elle ressent profondément transparait. « il a déposé les billets tout froissés ».
« Je ne me suis pas supportée », dit-elle.

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C’est un peu le tournant du livre. Après cet épisode, par l’intermédiaire d’un ami, elle rencontre « Bouche de cheval » (pour ses dents spectaculaires), une néerlandaise d’origine marocaine, qui souhaite réaliser un film dont l’héroïne sera une prostituée des trottoirs de Casa. Au début, elle veut seulement l’entendre raconter son histoire. Bientôt, elle va en faire l’héroàŽne de son film. C’est comme cela que Jmiaa se découvre la possibilité d’un autre destin, et trouve son chemin pour sortir de la prostitution. Après le film, après une récompense à  San Francisco, la voilà  qui devient la première héroïne marocaine d’un telenovelas mexicain. Et qui enfin, ayant arrêté de boire, a retrouvé une fierté que les hommes lui avaient « achetée ».

Une très belle réussite pour ce premier roman très bien documenté sur la prostitution et le patriarcat, porté par une langue colorée, précise et joyeuse qui n’est jamais plombante, mais toujours éclairante.