Hasta la Vista, de la sexualité des hommes en situation de handicap   

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On pouvait s’attendre au pire. Avec l’affiche du film, qui réduit une fois de plus le corps d’une femme à une paire de jambes sur talons aiguilles, on se disait que ce film faisait la promotion facile de l’assistanat sexuel pour personnes handicapées, ou l’apologie de la prostitution.

Le début du film n’arrange pas les choses : on découvre ces 3 personnages, un tétraplégique, un malade du cancer en fauteuil roulant et un malvoyant, trois hommes, qui rêvent de « baiser » en regardant les femmes qui les entourent dans un cadrage cinématographique typique du sexisme visuel : des morceaux de corps. On comprend très vite que ce film comme tant d’autres ne passera pas le « Bechdel test » [[Pour qu’un film passe le Bechdel test, il faut pouvoir répondre positivement aux trois questions suivantes :
Y a-t-il plus d’une femme qui parle dans le film? Deux femmes parlent-elles ensemble? Si deux femmes parlent ensemble, parlent-elles à un moment d’autre chose que d’un homme ?]]. Il y a bien des personnages de femmes, mais jamais deux femmes ne se parlent de tout le film ou à peine, et en tout cas pas d’autre chose que des héros, les hommes.

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On commence à ne plus tenir en place quand l’infirmière, obèse, qui les accompagne dans leur voyage vers un bordel espagnol, a droit à toutes les insultes sexistes et méprisantes parce qu’elle n’est pas assez séduisante pour ces messieurs.

Et puis, malgré tous ces défauts récurrents, on finit par s’intéresser au sort de ces trois personnages attachants, et de cette femme qui les accompagne. Parce que le vrai propos du film n’est pas de louer l’assistanat sexuel pour personne handicapée ; mais de montrer que ce n’est pas parce qu’on est en situation de handicap, même lourd, qu’on ne peut pas avoir des rêves, des envies de voir le monde, qu’on doit être en permanence dépendant et soumis à ceux qui aident. S’ils veulent perdre leur virginité en allant au bordel, les trois hommes du film veulent surtout vivre. Et le film montre bien, grâce au personnage de l’infirmière, que ce voyage initiatique est  une façon pour eux de découvrir qu’ils peuvent avoir des désirs, des envies, des idées de carrière, ou même entrer en relation avec d’autres.

Ainsi, ce n’est pas d’un pseudo-« droit à la sexualité » dont parle le film, mais du réel droit à être maître de son destin, même en situation de forte dépendance.

Mais, parce qu’ il y a un « mais », un gros « mais », les inquiétudes du début ne disparaissent pas complètement. Parce que si tous n’iront pas au bordel, certains iront. Et alors que l’ensemble du film tente de traiter avec humanité, complexité et nuance les personnages et les relations humaines, il y a une catégorie de personnes qui échappent à cette règle humaniste : les personnes prostituées.

Au cours du film, ces hommes ont accès à une parcelle de sexualité et à une meilleure connaissance d’eux-mêmes. Ils apprennent à regarder la femme qui les accompagne comme un être humain à qui ils s’intéressent. Mais ces femmes aux « corps de rêve » qu’ils paient dans ce bordel, « El Cielo »,  ils -ou en tout cas le réalisateur- ne les regardent jamais comme des êtres humains. Elles sont un décor. Leurs sentiments, leurs vies, leurs désirs, leurs aspirations, ce que cela peut leur faire d’être payées pour servir les désirs de ces hommes, tout cela n’est absolument pas effleuré.

C’est une nouvelle violence qui leur est faite : elles sont des objets, des décors. Elles seules n’ont pas droit à être considérées comme des personnes. Finalement, même si le film ne fait pas l’apologie de l’assistanat sexuel, s’il pose certaines bonnes questions sur la sexualité des personnes en situation de handicap, il fait malheureusement ce que font les militants pour « l’aide sexuelle » : d’une part il parle de la sexualité en situation de handicap en ne montrant que des hommes. Comme si le problème n’existait pas pour les femmes. D’autre part, il ignore totalement que dans la sexualité, il y a un autre, que cet autre est bien souvent une femme, et que son destin n’est pas, ne devrait pas être d’avoir un corps au service de la sexualité des hommes.