Laisse-toi faire

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La prostitution constitue et a toujours constitué un thème privilégié de la littérature.
Aussi, nous a-t-il paru important de mettre en lumière la façon dont elle est dépeinte par les romanciers.
Dans cette rubrique, les citations littéraires sont mises en parallèle avec les témoignages actuels des personnes prostituées, comme des clients.
Une mise en perspective riche d’enseignements!

Maintenant, tu te tais ! Si tu dis un seul mot, je te coupe la langue.

Romance viennoise, David Vogel, Editions de l’Olivier, 2014, p.279.

Annonce

 A la maison, dit Gretel, j’ai eu un beau-père. J’avais dix ans à  peine. Un jour, il est revenu de la taverne complètement ivre. Ma mère n’était pas à  la maison. Il m’a regardée avec un mauvais sourire. J’étais occupée à  coudre une robe pour une poupée cassée que j’avais trouvée. Il m’a attrapée et m’a jetée sur le canapé. J’ai cru qu’il allait me taper, comme il avait l’habitude de le faire presque pour son plaisir, mais il ne m’a pas battue. L’odeur d’alcool de son haleine m’a coupé le souffle, il m’a fait mal. J’ai beaucoup pleuré. Puis il m’a dit : Maintenant, tu te tais ! Si tu dis un seul mot, je te coupe la langue.. Il était capable de le faire. A partir de ce jour-là , j’ai fait ce qu’il voulait chaque fois qu’il me le demandait (!). Il me jetait sur le divan devant elle, et ma mère continuait son travail sans faire attention à  nous. Mais après, elle me coinçait dans un coin, me frappait et me traitait de traînée, d’ordure.

En quête d’aventures, le héros de ce récit, Michaël Rost, débarque à  Vienne dans les années 20. Le jeune homme âgé de 18 ans se rend régulièrement dans un café fréquenté par des prostituées. L’une d’entre elles se raconte!  Né en 1891 à  Satanov (actuellement en Ukraine), déporté en 1944, David Vogel est mort à  Auschwitz.

J’avais entre neuf et onze, douze ans. Je l’entendais monter l’échelle de meunier de ma mezzanine.

Témoignage de Julie,Prostitution et Société, n°175.

Mon frère a eu des gestes incestueux sur moi. J’avais entre neuf et onze, douze ans. Je l’entendais monter l’échelle de meunier de ma mezzanine. Je faisais semblant de dormir ; j’étais incapable de dire non et je m’en voulais. Plus tard, j’ai été violée plusieurs fois. La première fois à  14 ans. Après, c’était terrible pour moi, la sexualité. Forcément, je fais un lien! L’agresseur était un bon père de famille qui avait déjà  violé des femmes, mais jamais encore une mineure de moins de 15 ans (!). Ma mère a étouffé l’affaire. Je n’ai jamais osé lui demander pourquoi.

 Laisse-toi faire, il faut être gentille.

Laurence Noëlle,Renaître de ses hontes, Le Passeur, 2013, page 33.

Je me souviens de ses mains, de mes mains et de son regard. Je me revois, la nuit, réfugiée sous les draps avec mes nounours (!). Dans le noir, ils étaient les seuls à  pouvoir me rassurer face à  l’impensable, l’acte le plus avilissant et le plus destructeur qui soit et qui porte un nom qu’il me faut bien écrire : l’inceste. Lui. Lui et son regard, son regard pervers lorsqu’il me touchait, et sa voix dégoulinante, mielleuse, qui ressemblait à  une langue de serpent : « Laisse-toi faire, il faut être gentille ».

Dans ce récit-témoignage, Laurence Noëlle raconte comment la honte l’a bâillonnée dans le silence de ce qu’elle avait vécu : la maltraitance, l’inceste, la prostitution à  17 ans, la drogue et l’alcool pour tenir.