Vers une loi abolitionniste au Canada?

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Le gouvernement fédéral canadien a déposé le 4 juin 2014 un projet de loi abolitionniste largement inspiré du modèle nordique. La pression des abolitionnistes canadiennes et des « Survivantes », par exemple de l’Association des Femmes Autochtones du Canada, a donc porté ses fruits.

Le texte prévoit notamment de créer une infraction visant à interdire, en tout lieu, l’achat de services sexuels, le proxénétisme (sauf quelques exceptions comme chauffeurs ou employés) mais aussi la communication autour de la prostitution. Les personnes prostituées seraient théoriquement moins poursuivies que par le passé mais le ministre de la Justice Peter MacKay a indiqué qu’elles pourraient l’être si elles sollicitent les clients dans des lieux publics où des enfants pourraient être à proximité : un élément dont l’interprétation risque d’être à géométrie variable… Elles se verraient également faciliter les programmes de sortie (20 millions de dollars prévus).

Suite à « l’affaire Bedford », la Cour suprême du Canada avait invalidé les éléments du Code criminel interdisant le proxénétisme et la tenue de bordels. Les juges avaient estimé que l’interdiction des maisons closes et l’impossibilité d’engager par exemple un garde du corps obligeaient les personnes prostituées à prendre des risques et à mettre en danger leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité garanti par la Charte des droits et libertés. Le tribunal avait accordé un an au gouvernement d’Ottawa pour proposer de nouvelles lois sur la prostitution.

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Une consultation en ligne menée en février/mars pour recueillir l’opinion des citoyenNEs canadienNEs avait montré un courant majoritaire en faveur du modèle abolitionniste. 56% des répondants estimaient par exemple que le fait d’acheter des services sexuels devrait être pénalisé.

La Coalition des femmes pour l’abolition de la prostitution a salué cette avancée qui selon elle tient enfin compte des dommages sociaux que cause la prostitution même si elle critique le fait que la loi ne s’en prend pas suffisamment aux facteurs conjugués d’inégalité que sont le sexe, la race et la classe pour les femmes en situation de prostitution. Le Conseil du statut de la femme du Québec, de son côté, est satisfait de l’interdiction de l’achat des services sexuels mais s’inquiète de possibles poursuites de personnes prostituées dans des lieux publics.


Le gouvernement a jusqu’au 20 décembre 2014 pour faire adopter son projet de loi à la Chambre des communes et au Sénat. L’achat d’acte sexuel pourrait alors devenir passible d’une amende (minimum 500 dollars, augmenté en cas de récidive) ou d’une peine de prison (maximum 5 ans).

On peut s’attendre à ce que le projet de loi soit vivement contesté par les associations de « travail du sexe », qui sont immédiatement montées au créneau, accusant le texte de ne pas répondre au cahier des charges prévu, à savoir la garantie du droit à la sécurité pour les personnes prostituées. Rien n’est encore joué au Canada…