Canada : l’interdiction des maisons closes jugée inconstitutionnelle

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La Cour Suprême du Canada a tranché le 20 décembre 2013 : les articles de loi qui limitent l’exercice de la prostitution en interdisant les maisons de débauche, le racolage et le proxénétisme sont désormais inconstitutionnels. Le combat de Terri Jean Bedford a payé. Le gouvernement a un an pour réformer son Code Criminel en la matière. Pour se ranger à la décision des juges, la logique voudrait qu’il dépénalise le proxénétisme et normalise la prostitution. A moins d’un sursaut en faveur d’une loi qui criminalise plutôt les « clients » sur le modèle suédois ?

Pour connaître les précédents épisodes du procès Bedford c. Canada, sur notre site :
362 ;
429;
– 504 ;
568.

S’emparant entre autres de la tragique affaire Pickton, du nom du tueur en série qui avait assassiné de nombreuses personnes prostituées, trois « travailleuses du sexe » étaient déjà parvenues à obtenir de la Cour Supérieure de l’Ontario l’invalidation de ces articles du Code Criminel au motif qu’ils étaient contraires à la Charte canadienne des droits et libertés et mettaient en péril la vie et la sécurité des personnes prostituées. Les voilà donc renforcées dans un combat largement soutenu, voire financé, par tous ceux qui ont intérêt à la libéralisation du « marché » (y compris des « clients »).

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Le Tribunal obéit en effet aux arguments des plaignantes, notamment le caractère sécuritaire des bordels par rapport à la rue. Le jugement parle ainsi à deux reprises de refuge sùr  et de lieu sùr. La Cour estime ainsi que l’effet préjudiciable de la disposition (d’interdiction des maisons de débauche) est totalement disproportionné à son objectif de réprimer le désordre public.

Les proxénètes (au rang desquels appartiennent elles-mêmes deux des plaignantes) marquent donc clairement un point en voyant les établissements de prostitution légitimés. De même, la Cour Suprême souscrit à l’idée que le racolage est un atout qui permet de négocier et donc d’éviter les hommes dangereux. Elle conclut que l’effet préjudiciable de l’interdiction de la sollicitation sur le droit à la sécurité des prostituées de la rue est également « totalement disproportionné » par rapport au risque de nuisance causé par cette pratique. On remarque que la dangerosité des « clients », sous-jacente à cette obligation, n’est pas même évoquée.

Quand au proxénétisme, dont l’interdiction est pour la Cour d’une portée « excessive », il y en aurait un bon et un mauvais : un mauvais, fondé sur la contrainte, et un bon, destiné à protéger (les fameux gardes du corps, dont l‘existence devrait plutôt mettre en exergue la dangerosité avérée de l’activité).

Si l’on comprend bien, c’est la loi qui expose les femmes à la violence et au meurtre. Ce n’est pas la prostitution.

Reste au législateur à redéfinir le cadre d’une politique. Que va faire le gouvernement Harper ? Pour éviter Charybde, va-t-il choisir Scylla ? S’il n’a pas l’audace de tenter une politique résolument neuve à même de faire reculer la prostitution au lieu de l’organiser, s’il n’ose pas affirmer que c’est sa pratique même qui met en péril la vie, la santé et la sécurité des femmes, les personnes prostituées resteront exposées à tous les dangers. Les clients prostitueurs se sentiront alors plus que jamais en droit de poser leurs exigences, et les proxénètes, de faire prospérer, par tous les moyens, leurs colossaux profits, comme ils le montrent dans les pays qui ont choisi l’option de la légalisation (Allemagne, Pays-Bas). Les abolitionnistes canadien-ne-s ne l’entendant pas de cette oreille, l’affaire est loin d’être close. C’est que l’enjeu est de taille, à la mesure de l’importance d’un grand pays comme le Canada.