Oxfam, les humanitaires et la prostitution

2010

Dans le sillage du scandale Weinstein, l’affaire Oxfam en Haïti confirme que des comportements jusqu’ici couverts par le silence suscitent enfin des réactions à  la mesure de leur gravité. Profitant de la catastrophe occasionnée par le tremblement de terre de 2010[[Qui, rappelons le, a tué 220 000 personnes et laissé 1,5 million de sans logis.]], des membres de cette organisation humanitaire britannique ont utilisé des fonds de l’ONG pour s’offrir de jeunes femmes, dont des mineures. Cette affaire pose aujourd’hui crùment la question des rapports ambigus qu’entretiennent des organisations humanitaires avec la prostitution et la traite.

La partie émergée de l’iceberg : c’est ainsi que le journal britanniqueThe Independent présente les révélations duTimes sur cette désastreuse affaire. Oxfam est loin d’être la seule ONG à  pratiquer le harcèlement et les agressions sexuelles sur des femmes et même des enfants.

Les hommes mis en cause, dont l’un s’est vu offrir un poste de directeur à  Haïti par Oxfam, ont été couverts par leur hiérarchie. Certains ont seulement changé d’organisation, poursuivant éventuellement leur prédation dans d’autres régions du monde. Un seul mot d’ordre donc, le silence ; jusqu’à  ce que le bruit que fait enfin l’affaire nous donne l’occasion de rafraichir les mémoires.

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Car si l’ampleur des réactions est sans précédent, ce n’est pas la première fois que sont dénoncés les agissements de personnels humanitaires ou de l’Onu. On se souvient de la mise en cause d’hommes appartenant à  partir de 1999 aux forces de maintien de la paix envoyées en Bosnie. Leur simple présence avait fait exploser le « marché » de la prostitution locale, passée du stade « artisanal » au stade « industriel[[20minutes, « 1992-2016, les casques bleus régulièrement accusés de crimes sexuels », 1/04/16 ]] ». Pour ne rien dire de leur comportement au Cambodge en 1990, au Mozambique en 1992, au Rwanda en 1995, en Somalie en 2014… En Afrique de l’Ouest, au Liberia, en Guinée, en Sierra Léone, des personnels humanitaires troquant nourriture et médicaments contre « faveurs sexuelles » ont été de la même façon régulièrement épinglés.

Les catastrophes, une aubaine pour les exploiteurs sexuels

On sait que les catastrophes, qu’elles soient économiques, politiques ou naturelles, sont une chance pour les marchands de femmes comme pour les consommateurs. En 2010, la presse avait déjà  fait état de la situation déplorable des femmes d’Haïti, dont certaines étaient contraintes d’échanger des actes sexuels contre des biens de première nécessité. En 2011, une prostituée néo-zélandaise[[« Sex sells in Christchurch »,NewYork Daily News,10 mars 2011.]] expliquait que le tremblement de terre de Christchurch avait produit une explosion du nombre de « clients » : sauveteurs, ouvriers des chantiers et policiers étrangers, arrivés sans leurs femmes et atteints par le stress. Des hommes qui mettent vite à  profit les situations de détresse pour assouvir leurs « besoins » décidément irrépressibles.

L’affaire Oxfam vient à  point nommé poser la question des rapports occultes qu’entretiennent certains personnels humanitaires avec une catégorie oubliée et particulièrement vulnérable des populations en détresse : femmes, jeunes filles, enfants et adolescents. Au lieu de la protection qui leur est due, celles ci n’auraient droit qu’à  l’exploitation sexuelle. A en croire le travailleur humanitaire Andrew MacLeod interviewé parThe Independent, il y a, notamment dans l’exploitation sexuelle des mineur.e.s, un fléau actuel et futur qui pourrait menacer tout le milieu de l’aide au développement (!).

On pourrait aller jusqu’à  interroger les raisons profondes du positionnement politique de certaines ONG internationales sur la prostitution. La présenter comme un effet de la liberté individuelle leur éviterait-elle d’avoir à  rendre des comptes sur des comportements dont tout le monde sent bien aujourd’hui qu’ils sont insupportables ?

Il est temps que toute la clarté soit faite. L’ONG Médecins sans Frontières vient d’ailleurs de prendre les devants. Elle a dévoilé l’existence de violences sexuelles dues à  ses propres employés, expliquant avoir pris des mesures disciplinaires ; tout en rappelant que l’aide humanitaire ne doit s’accompagner d’aucune contrepartie, ni argent, ni sexe. On ne peut que l’en féliciter et appeler d’autres organisations à  faire de même.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.