Belgique : un débouché pour apprentis proxénétes

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C’est la deuxième fois en deux mois : mardi 24 novembre 2009, la police judiciaire de Lille a extrait des adolescentes françaises prostituées dans des bordels belges, tout proches de la France. Une pratique repérée depuis 2008 et en augmentation.

Un mélo du 19e siècle ? Non, une histoire très contemporaine : deux adolescentes en octobre 2009, puis cinq autres en novembre, toutes mineures (entre 15 et 17 ans), ont été successivement retrouvées dans des bordels belges. Adroitement poussées par des « amoureux » proxénètes, toutes racontent un itinéraire semblable : la galère, la précarité, la violence, la détresse. Toutes rencontrent de séduisants jeunes gens, attentifs et portés sur la fête, qui savent se rendre indispensables. Après quelques mois de romance, les galants conduisent leurs protégées dans un « bar montant » de l’autre côté de la frontière belge. Chantage, manipulation, violence si nécessaire.

C’est ainsi qu’en octobre, la police judiciaire de Lille a interpellé trois suspects à peine plus âgés que les victimes, des délinquants déjà connus pour vols, recels et violence ; un quatrième homme est toujours recherché. Pour novembre, les suspects sont plus âgés cette fois et bien insérés dans leur vie professionnelle et sociale. Un seul d’entre eux avait déjà été condamné.

Tous produisaient à l’attention des patrons de bordels peu regardants des papiers d’identité grossièrement contrefaits, faisant passer leur recrue pour majeure.

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Selon le quotidien La Voix du Nord du mercredi 7 octobre, interrogeant la police judiciaire de Lille, on assiste à une reconversion des délinquants dans le proxénétisme, une « carrière » très rentable et, grâce à la complaisance belge, sans risques. C’est en apprenant que les enquêtes concernaient des mineures que la police criminelle belge aurait en effet appuyé l’action de la PJ de Lille. Une victime âgée de 18 ans révolus aurait-elle bénéficié de la même détermination ?

Selon les enquêteurs, les proxénétes interpellés en novembre ont reconnu les faits sans comprendre leur gravité[ [Nord-Éclair, 28 novembre 2009.]]. Ils se sont justifiés en dépeignant leurs victimes comme des « filles faciles » et ne comprennent pas ce qu’on leur reproche : c’est une pratique monnaie courante ici, s’est défendu l’un d’eux. Un policier indique : On ne voyait pas ça, il y a encore quelques années. Cette affaire est révélatrice de ce qui se passe aujourd’hui. La prostitution devient un phénomène courant.


Des alarmes similaires se font désormais entendre dans toutes les zones transfrontalières vers des pays qui ont dépénalisé le proxénétisme, comme l’Espagne ou l’Allemagne.

Sandra Wickert, journaliste à Café Babel, le « magasine européen », décrit ainsi le manège entre la ville allemande de Kehl, et Strasbourg, à quelques minutes de route :

Le soir venu, elles [les personnes prostituées] sont rassemblées et charriées par minibus entiers, passent l’ancienne frontière pour aller jouer en nocturne de l’autre côté du pont, avant qu’on vienne les récupérer aux premières lueurs de l’aube une fois leur mission accomplie. La période durant laquelle siège le Parlement européen les trouve en pleine effervescence.

Depuis la mairie de Strasbourg, le constat est clair, comme le résume la journaliste : Pour que le problème puisse se régler à Strasbourg, il ne faut pas perdre de vue que ce commerce se passe des deux côtés du Rhin. L’aide de l’Allemagne est donc indispensable.

À lire également, notre interview de Jean-Marc Souvira, commissaire à l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains. Selon lui, les régimes réglementaristes (Allemagne, Pays-Bas…) favorisent les réseaux, ils sont des appels. Et les zones transfrontalières sont prisées des traficants, que leurs victimes soient raptées depuis le continent africain, d’une ville d’Europe centrale ou… de la banlieue de Lille :

Les frontières sont des zones très intéressantes pour les réseaux, elles permettent une grande mobilité. Le temps d’interpeller les filles d’un réseau, et c’en est d’autres. Le réseau a envoyé les premières dans un autre pays. Une personne peut être arrêtée d’un côté de la frontière mais pas de l’autre (exemple : France/Allemagne), en vertu du pouvoir régalien de chaque pays. Ce sont également des zones qui permettent de brouiller les pistes en matière de remontée d’argent.