Carlton : procès des proxénètes mais aussi procès des « clients »

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Elles ont parlé. Et le choc est à la mesure de la rareté de l’événement. Les quatre jeunes femmes qui se sont portées parties civiles n’ont pas mâché leurs mots pour décrire les réalités des parties fines des messieurs du Carlton…

En attendant la version euphémisée des prévenus, le procès du Carlton aura permis de faire entendre la voix de celles que l’on n’entend jamais. Les quatre jeunes femmes qui se sont portées parties civiles en auront assez dit pour faire exploser le mythe de la prostitution « de luxe » et faire connaître l’essentiel des réalités de la prostitution tout court.

Les mots, les gestes qui habituellement ne franchissent pas les murs du huis clos prostitutionnel sont livrés devant le tribunal avec toute leur crudité. Les mots d’abord : bouquet garni, remonte de cheptel, bouée, roue de secours, matos font partie du vocabulaire des messieurs du Carlton pour désigner les femmes dont ils se servent ; connasse étant du nombre pour désigner celle qui a l’audace de refuser une relation gratuite.

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Ces mots suffisent à mesurer le mépris sans fond que ces hommes à grosse surface sociale, pleins de leur argent et de leur pouvoir, portent aux femmes dont ils usent sexuellement.

Mais il y a aussi la brutalité, la violence, les comportements de défoulement, l’indifférence glaciale. Lorsque l’une des jeunes femmes décrit, en larmes, une jeune fille de 19 ans couchée par terre dans les toilettes, ivre morte, et dit Je ne sais pas combien lui sont passés dessus, elle décrit un viol collectif. On note au passage l’arrivée du serveur avec une boîte de préservatifs, preuve que la banalisation de la violence sexuelle dans la prostitution contribue à faire d’un témoin, dont le devoir devrait être de secourir la victime, le complice des agresseurs.

On apprend de même que M. Kojfer, pourvoyeur de femmes prostituées, n’aime pas contrarier ses amis. A la question J’ai un ami qui veut une fille de 17 ans pour la tirer, tu peux trouver ?, il s’empresse de répondre par l’affirmative. Viols, prostitution de mineures, tout est possible dès lors que règnent en maîtres l’argent, le pouvoir, le secret et l’impunité.

Le fantasme en prend lui aussi un coup. « Jade » décrivant son frigo vide, ses enfants à élever et murmurant, en pleurs, par deux fois  : Non, il n’y a pas de bons côtés, je vous le garantis ôte toute envie d’invoquer les éternels arguments : le plaisir, le libertinage, la liberté sexuelle… « Jade » évoque lasouffrance infligée, les traumatismes qui durent des années quand une musique ou un parfum (…) ou n’importe quoi (…) rappelle un « client » violent ou un jeune homme qui nous emploie comme une poupée.

Que les prévenus soient condamnés ou non pour proxénétisme aggravé, le procès du Carlton aura secoué les consciences quant aux comportements des « clients « , aujourd’hui protégés par l’impunité. Espérons que la proposition de loi votée par l’Assemblée Nationale et pour le moment bloquée au Sénat s’en trouve fortement réactualisée…

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.